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Max Mûller , a publié l'année dernière dans les Oxford Essays un mor- ceau intitulé Comparative Mythology , où l'auteur s'est proposé de faire connaître au public anglais quelques- uns des plus importants résultats obtenus par la méthode comparative appliquée aux mythologies. Tai pensé que ce remarquable essai pourrait être lu avec non moins de profit par notre public , encore peu initié aux belles recherches qui ont fait, dans ces dernières années, en- visager sous un jour nouveau l'histoire des religions de l'antiquité. J'ai donc engagé une personne zélée pour ces études à traduire le morceau entier. On a ensuite retranché les développements qui paraissaient les moins intéressants pour le lecteur français, et on a cherché à ramener l'exposition de certaines parties à une forme accommodée à notre goût ; mais les opinions de M. Mill- ier n'ont été modifiées sur aucun point. J'aime à croire que Pessai de M. Mûller inspirera à quelques personnes le désir de lire les grands ouvrages originaux où son 4 Y PRÉFACE. démontrés les résultats exposés ici d'une manière som- maire, et en particulier les travaux de M. Kuhn. C'est là, suivant moi, la grande veine des travaux contempo- rains. On a souvent dit que la découverte du sanscrit et de la philologie comparée serait regardée dans un ou deux siècles comme un événement aussi considérable que le fut pour le monde latin la découverte de la litté- rature grecque au quinzième siècle. Je crois cela vrai, non dans l'ordre classique (les littératures grecque et latine ne seront jamais détrônées dans les écoles ni pri- vées du droit exclusif qu'elles ont de présider à notre éducation grammaticale et littéraire), mais dans l'ordre de la science et de la critique. Or^ je n'hésite pas à égaler presque à la découverte des Bopp et des Schlegel, celle des jeunes et ingénieux philologues qui ont les premiers aperçu, dans les Védas et la Uttérature qui s'y rapporte, la clef des antiquités religieuses de notre race, et prouvé que la famille indo-seuropéenne n'a d'abord eu qu'un seul système de traditions religieuses et poé- tiques, comme elle n'a d'abord eu qu'un seul idiome. Dans vingt ans, si la série de ces belles études n'est pas interrompue par l'indifférence du public et l'inintelli- gence de ceux qui devraient les encourager, nous par- lerons de l'état religieux et moral de nos aneètres ariens avec presque autant de certitude que l'on parle aujour- d'hui des Grecs et des Romains. ËRNEir Renan. é MYTHOLOGIE COMPARÉE. i—* PSiDAB. Vois-tu CO haut platane ? Ceartaipement, Il y a de l'ombre en cet endroit; le vent n*y est pas trop fort, et on y trouve du gazon pour s'asseoir ou se coucher. ^OCRATE. AlIons-y donc. ■PHJtDRE. /^ Dis-moi, Socrate, n'est-ce pas en quelque endroit près d'ici que Borée enleva Orifltye dâft'Uissus? ' SOCMTE. :%nledit. N«i4ieTaii-ce pas en eejt «ndroit-ci? les ean^ sont puves et transparentes, et les rives semblent facitee tout expti^ pour les jeux des jeunes filles. SOGRATE. Non, c'est à deux ou trois stades plus bas, à l'endroit où l'on traverse le fleuve pour aller au temple d'Âgra : il y a là, quelqu part, on autel de Borée. PHÈDRE. ^ ne Tm^s pas remarqué;. Mais dis-moi, parZe\is,4jSocrate ^ ^Hs-tu que ce mythe soit vrai ?^ SOCRATE. Si, comme les sages, je ne le croyais pas, je^ ne serais pas fort embarrassé, fe^pourrais inventer une théorie ingénieuse, et dire qu'un fioufiSe de Borée, le vent du nord, précipita' Orithye du 4 MYTHOLOGIE œMPARÉE. haut des rochers du voisinage pendant qu^elle jouait avec son amie Pharmacée, et qu'étant morte de cette manière, elle passa' pour avoir été «ilevée par Borée, à cet endroit ou à l'Aréopage, car les deux versions ont é(i;aleraeiit cours. Quant à moi, Phèdre, je pense que ces explications sont fort ingénieuses , mais elles exigent un grand effort d'esprit, et elles mettent un homme dans une position assez difficile; car, après s'être débarrassé de cette foble, il est obligé d'en faire autant pour le mythe des Hippo- centaures et pour celui des Chimères. Puis, une foule de mons- tres non moins effrayants se présentent , les Gorgones , les Pé- gases , et d'autres érrcs impossibles et absurdes. II &udrait de grands loisirs à un homme qui ne croirait pas' à l'existence de ces créatures, pour donner une explication plausible de chacune d'elles. Pour moi, je n'ai pasde temps à donner à ces questions, car je ne suis pas encore arrivé, selon le principe de l'oracle de Delphes , à me connaître moi-même, et il me semble ridicule qu'un homme qui s'ignore s'occupe de ce qui ne le concerne pas. En conséquence, je laisse ces questions, et tout en croyant ce que croient les autres , je médite, comme je viens de le dire, non sur elles, mais sur moi-même , pour savoir si je suis un monstre plus compliqué et plus sauvage que Typhon , ou bien une créature plus douce et plus simple , jouissant naturdle- ment d'un sort heureux et modeste... Mais pendant que nous causons, mon ami, ne sommes-nous pas arrivés à cet arbre où tu devais nous conduire ? PHÈDRE. Voici l'arbre même. Ce passage de rintroduction du Phèdre de Platon a été fréquemment cité pour montrer ce que le plus sage des Grecs pensait des rationalistes de son temps. Ily avait alors à Athènes, coname dans tous les pays et à toutes les époques, des hommes qui, n'ayaut ni la foi au miraculeux et au surnaturel, ni le couEgige moral de nier complètement ce qu'ils ne pouvaient croire , es- MYTHOLOGIE GOMPARttL 5 sayaient de trouver des explications possibles pour mettre d'accord les légendes sacrées transmises par k tradition, consacrées par des observances religieuses et sanctionnées par l'autorité de la loi, avec les principes de la raison et les règles de la nature. Il ressort , au^ moins, clairement du passage précité et de plusieurs autres de Platon et de Xénophon , que Socrate , quoiqu'il ait été accusé d'hérésie, n'avait pas une très-haute idée de ce genre de spéculation, qu'il trouvait ces explications plus incroyables et plus absurdes que les plus incroyables ab- surdités de la mythologie grecque, et que même, à une certaine époque de sa vie^l traitait ces tentativesd'impies. M. Grote, dans son ouvrage classique sur l'histoire de la Grèce, s'appuie sur ce passage et sur d'autres sem- blables, pour donner à Socrate une place parmi les his- toriens et les critiques dans le sens que notre temps a donné à ces mots. En cela, il fait dire au philosophe an- cien plus qu'il ne dit réellement. Le but que se propose la critique moderne, en étudiant les mythes de la Grèce ou de toute autre nation de l'antiquité, est si différent de celui de Socrate , que les objections <|u'il émettait contre ses contemporains rationalistes ne peuvent guère s'appliquera nous. On peut même montrer, je crois, qu'à potre .point de vue, l'étude de ces mythes fait partie du problème que Socrate considérait comme le seul digie de la philosophie. Quel est le motif qui nous fait aiippird'huî rechercher l'origine des mythes grecs, étu- dier l'histoire ancienne , acquérir la connaissance des langues nWrtes , et déchiffrer d'illisibles inscriptions ? Pourquoi troavons-nous de l'intérêt non-seulement à la littérature de la Grèce et de Rome, mais encore à celles i 6 MfnOLOGIE COlnPAftfiB. de I'faide, de la Perse, de l^Égypte et de la Babylonie anciennes? Pourquoi les légendes puériles et souvent repoussantes de tribus sauvages attirent-elles notre at^ tentionî Qu'est^e qui donne de la tie à l'étude de l'an- tiquité? Qu'est-ce qui pousse de nos jours les hommes à consacrer leurs loisirs à des études en apparence si peu utiles, sinon la conviction que, pom obéir au comman- dement de l'oracle de Delphes , pour savoir ce qu'est V homme , nous devons savoir ce quHl a éié? C'est là une considération qui devait rester aussi étrangère à Socrate que les principes mêmes de philosophie induc- tive, par lesquels Colomb, Léonard de Vinci, Copernic, Kepler, Bacon et Galilée ont renouvelé la vie intellec - tuelle de l'Europe modwne. Nous accordons à Socrate que le principal objet de la philosophie est de se con- naître soi-même; mais nous trouvons insuffisante la méthode par laquelle le philosophe prétendait arriver à cette fin. Pour lui l'homme était surtout l'individu. Il cherchait à découvrir le mystère de la nature humaine, en méditant sur son propre esprit, en étudiant le travail secret de l'âme, en analysant les organes de la connais- sance, et en essayant d'en déterminer les limites exactes. Pour nous, l'homme n'est plus cet être soUtaire, com- plet en lui-mènae et se suffisant à lui-même ; Fhoaime pour nous est un frère parmi des frères , un membre d'une classe, d'un genre ou d'une espèce, et, par co&sè- quent, on ne peut le comprendre qu'en le comparainpà ses égaux. La terre était inintelligible pour les ancien», parce qu'ils la considéraient conune isolée et sans pareille dans l'univers ; mais elle prit une véritable et nouvelle signification, dès qu'elle apparut aux yeux de l'homme MfraoKfelE GOMPARÉe. 7 comme une planèie entre plusieurs autres planètes, toutes gouvernées par les ménrtes lois et tournant autota* du même centre. li en est ainsi êe Tftme humaine ; sa nature se présente à nous sous un aspect différent, depuis que l'homme a appris à se connaître, depuis qu'il sait qu'il est un membre d^me grande famiHe ime étoile parmi des myriades d'étoâes errantes , toutes gouTemées par les mêmes lois, tournant autour du même centre et tirant leur lumière d'une source com- nrane. L'histoiredu monde, ou, comme Ton dit, c( Tld^ toire universelle, » a ouvert de nouvelles voies à la pen- sée, et a enrichi notre langue.d'un mot que ne pronon- cèrent jamais ni Socrate, ni Platon, ni Aristote, Yhu^ manité. Où les Grecs voyaient des barbares, nous voyons des frères ; où les Grecs voyaient des héros et des demi- dieux^ nous voyons nos ancêtres; où les Grecs enfin voyaient des nations (ïôvyî) , nous voyons des hommes qui travaillent et qui souffrent, qui sont séparés par des océans, divisés de langage et désunis par des haines nationales, mais qui tendent cependant de plus en plus, sous une impulsion divine , à l'accomplissement d'un impénétrable dessein. L'histoire, avec ses pages antiques, est de la sorte pour nous un livre aussi sacré que celui de la nature. Nous cherchons à retrouver dans tous les deux le reflet d'une sagesse divine. De même que nous ne reconnais- Atets plus dans la nature d'œuvres de démons ni de ma- nifestations d'un mauvais principe, ainsi nous nions que l'histoire soit une agglomération atomistique de hasards ou l'application despotique d'un destin aveugle. Nous croyons qu'il n'y a rien d'irrationnel dans l'histoire ni 8 MYTHOLOGIE COMPARÉE. dans la nature , et que l'esprit humain doit y lire et y révérer les manifestations d'un pouvoir divin. Aussi, les pages les plus anciennes et les plus altérées de la tradition nous sont plus chères peut-être que les do- cuments les plus explicites de Thistoire moderne. L'histoire de ces temps reculés, en apparence si étrangère à nos intérêts modernes , prend un charme infini dès que nous y voyons l'histoire de notre propre famille. Bien des choses sont encore inintelli- gibles pour nous, et le langage hiéroglyphique de l'an- tiquité ne retrace qu'à demi les procédés que suivit l'esprit humain, à une époque où il n'avait pas con- science de lui-même. Cependant l'image de l'homme, en quelque climat que nous la rencontrions, se présente à nous pure et noble dès l'origine : nous apprenons à com- prendre ses erreurs, nous commençons à interpréter ses rêves. Quelque anciennes que soient les empreintes de rhonune dans les plus profondes stratifications de l'his- toire, nous voyons que le don divin d'une intelUgence sûre et soUde lui appartint dès le commencement. On ne peut plus soutenir l'opinion que Thumanité soit sortie lentement des abîmes de la brutalité animale. Le lan- gage, premier ouvrage d'art exécuté par l'esprit humain, plus ancien qu'aucun document httéraire, et antérieur même aux premiers murmures de la tradition , forme une chaîne non inlen^ompue depuis les premiers âges de l'histoire jusqu'à nos jours. Nous parlons encore le langage des premiers ancêtres de notre race ; et ce langage , avec sa merveilleuse construction , té- moigne contre le système qui voudrait assigner à l'espèce humaine les mêmes origines qu'à l'animal. MYTHOLOGIE COMPARÉE. 9 I. Longtemps avant Tépoque où nous apercevons les premières traces d'une littérature nationale dans l'Inde, la Perse, la Grèce, Tltalie et la GermaMe, il y eut un âge pendant lequel se produisir^ les mythes. La pro- pagation et l'existence de ces mythes jusqu'à des épo- ques rapprochées de nous constituent un phénomène étrange, et cependant beaucoup plus facile à compren- dre que le fait primitif de leur création. L esprit humain a un respect inné pour le passé, et quelque barbares, inmiôrales ou impossibles que puis-* sent paraître les traditions léguées par les siècles, chaque génération les accepte et les façonne, en y découvrant parfois un sens plus vrai que les générations précédentes. Bien des natifs de l'Inde, quoique versés dans les sciences européennes et nourris des principes de la pure théologie naturelle, s'inclinent encore devant les imagâl de Wichnou et de Siva et les adorent. Ils savent que ces images ne sont que des pierres, ils avouent que leurs sentiments se révoltent contre les impuretés attri- buées à ces dieux par ce qu'ils appellent leurs Uvres sa- crés ; cependant il y a d'honnêtes brahmanes qui sou- tiendront que ces histoires ont une profonde signification, et que l'immoralité étant incompatible avec un être di- vin, il faut supposer quelque mystère sous ces fables consacrées par le temps. Lors même que la religion chrétienne a gagné le cœur d'un Indien, la foi de son enfance se prolongera encore et éclatera parfois dans 40 MYTHOLOGIB GeifPAfliB. des expressions irréfléchies, de même que beaucoup de mythes de l'antiquité se sont glissés dans les légendes de l'Église catholique (1). Nous trouvons de fréquents indices qui étabUssent que les Grecs eux-mêmes étaient choqués des ttbles que l'on racontait de leurs dieux ; ci^pendant des hommes tels que Socrate me voulaient pas renoficer aux croyances de leurs ancêtres. La lar fitude des mythologiet antiques &vorisait ces corn- promis. Quand ]a conception de la Divinité suprême devint plus pure, on comprit que l'idée de perfec- tion, inséparable de l'Être divin, excluait la possibilité de dieux immoraux. Pindare, ainsi que le fait observer Olfried Mûller (2)^ ch^ge beaucoup de mythes, parce qu'ils ne sont jias en harmonie avec sa conception plus élevée des dieux et des héros, et parce que, selon son opinion, ces mythes doivent être faux. Platon (3) nous o&e un eaepo^e d'exégèse toute semblable, quand il examine les différentes traditions sur Eros ; dans le SyrU'- posiumj Phédon (4) l'appelle le plus ancien, et Àgathon le phis jeune des dieux ; tous deux en s'appuyant sur l'aiiilorité d'un ancien mythe. Mais la conservation des noms mythiques, la longue durée des fables qui satisfaisaient les besoins reUgieux, poétiques et moraux de générations successives, quelque étrange et instructive qu'elle soit, n'est pas la vraie dif- (1) Voyez rintroduction de Grinim à son grand ouvrage sur la Mythologie imâoàiqne, seconde édition. 4Sli, p. mi. (S) Voyez l'excellent ouvrage d'O. Mûller, Prolegomena zu einer wissen- tc^aftlichen Mythologie, 1 825, p. 87. (3) Phèdre, 242, E. (4) Symp^ 476« G. Ovrwc «oXXaxpficv 6(AoX&YctT9ci ô "Ëpcoc iv to?; icpcaêuxà- Toi; ctvai* npEoêutaToç II cov ^tyiaxtav iyaOcôv i^.pTv alxtô; éaxiv. 495^ Â. 'Ëati 8è xdéX)t(rro( &v ToiôaSe* icpâtov (lèv vecoratoç 0ec5v, 6^at6pe. Wtfn&Umt iJMTP ARÉE. 4 4 ficulté; le passé » sed îiimrxièÊ^ eU la tradition trouve d'ailleurs un pcfiÉsanft auxiliaire dansr le langage. Ne»ai9 parlons eticore du i^leii leTont et du dolâl éouohatûfjj d'arcs-en-eiel, de Coups de tonnerre, parce que le langage a sanctionné c^ exprei^ons. Nous lén employons, qucttque nous tf y mjfpGt^ pas-. Mais comment, h To^i- gine^ l'esprit humain fut4I amené à de telles imagida- tiens? Gomment les noms et les fables se farmèltent-ils ? Voilà la question que la phijologie moderne a milte fois essayé de résoudre et à laquelle les résoltats nou« veaux acquis dans ces dernières années ont apporté êëê lumières inattendues . Grâce à la philologie comparée, not» savons, en effet,*" quelque chose de l'^oque pendant laquée les nations» ariennes (1), encore non divisées en peuples divers, formèrent leurs mythes. Quand même nous ne connaî- trions que les traditions dé la 6i?èce , si obfloures quand on les envisage isolément, nous pourrions en tirer bien des inductions sur l'époque qui précéda la première ap- parition de la Uttérature nationale en Grèce. OtfHèd MûUer (2), quoiqu'*il n'ait pu profiter de la lumière nouvelle que la philologie comparée a jetée sur cette époque arienne primitive, a dit : « La forme mythique de l'expression qui change tous les êtres en individus, tous les récits en actions, est quelque chose de si par- ticuUer que sa présence nous indique toujours une épo^ que dktincte dans la civilisation d'un peuple ! y> Depuis le temps où écrivait . Mûller, la philologie comparée (1) Ou doane ce nom au aïKétres communs de la race indo-européeune, alors quMls demeuraient encore dans leur berceau primitif > au nord de la Bactriane. (2) ProlMyth.ylS, 4t MYTHOLOGIE COMPARÉE. a ramené toute cette période dans la sphère de l'histoire positive, et il nous est permis maintenant de jeter un coup d'oeil hardi sur l'état de la pensée, du langage, de la religion et de la civilisation à une époque où le sans* crit et le grec n'existaient pas encore, mais où tous deux, ainsi que le latin, l'allemand et les autres dialectes ariens, étaient contenus dans une langue commune, de même que le français, l'italien et Tespagnol out été d'abord virtuellement renfermés dans le latin. Quand môme nous ne saurions rien de l'existence du latin^ quand même tous les documents historiques an- térieurs au quinzième siècle auraient été perdus, et que la tradition ne nous eût pas appris l'existence d'un em- pire romain, une simple comparaison des six dialectes romans nous permettrait de dire qu'à une certaine épo- que il dut y avoir une langue d'où tous ces dialectes modernes tirèrent leur origine ; sans cette supposition, en effet, il serait impossible d'expliquer les analogies que présentent ces dialectes. En examinant le verbe auxiliaire, nous trouvons : italien, Valaqu9. Rhétitn, Espagnol, Partugait^ Frantais, " sono sum (sunl) sont mj sou suis sei es eis efet. es es è ë-'^este) ei es be est siaflu sunterau essen somos somos toomaes siete sunteti esses sois sois êtes (estes) sono sunt eén (sun) son sâo sont U est évident que toutes ces formes ne sont que des variétés d'un même type, et qu'il est impossible de prendre aucun de ces six paradigmes pour le modèle sur lequel les autres ont été construits. Nous pouvons ajou- ter que, dans aucune des langues auxquelles ces formes verbales appartiennent, nous ne trouvons les éléments MtTHOLOGIË COMPARÉE. 43 qui auraient pu les composer. Quand nous troiivonâ dès formes comme f(à, aimé, nous pouvons les expliquer par les radicaux que le français possède actuellement, et il en est de môme des temps composés comme fàin merai, c'est-à- dire je aimer-ai. Mais le changement de je suis en tu es est inexplicable par la grammaire fran- çaise seule. De telles formes n^auraient pas pu naître sur le sol français ; elles ont dû se transmettre comme les restes d'une époque précédente ; elles ont dû exister dans quelque langue antérieure aux dialectes romans. Ici, nous ne sommes point obligés de nous en tenir à une simple supposition ; car nous possédons le verbe la- tin , et nous pouvons montrer comment, par suite de la corruption phonétique et en vertu d'analogies erronées, chacun des six paradigmes n'est qu'une métamorphose nationale du modèle latin. Voici maintenant une autre série de paradigmes : Sanscrit, Lithuanien, Ztnd, Ihriquê, Vieux slav9,LaUm, Gothiq, Jrmén, Jft sui« ismi esmi ahmi l[km jesmc sum im em Tu es âsi essi ahi •évai jesi et • is m 11 est àsti esti asti iaxC yesto . 611 ist é Nom (deax) sommes *svàs esfa ••• jesva • •t siju ••• Vous (dtnx) êtes * cbbortls), signifiant un espace enclos, une cour, et enfin un palais, vient-U de la même source. MYTHOLOGIE COMPAREE. 23 pour signifier bataille est gdv-ishtiy littéralement « lutter pour des Taches. » Dans le sanscrit postérieur, gaveshana signifie simplement recherche (physique ou philosophique), et gaveshj s'informer. Goshtha signifie parc ou étable (^i^zoLOiiav) ; mais avec les progrès du tesops et de la civilisation, gashiM devint le nom d'une assemblée, et fut employé pour exprimer la discussion et le bavardage» de même que commère signifiait origi- nairement un parrain ou uae marraine, et prit ensuite une affinité avec causerie ou bavardage. Tons ces mots, composés avec go, bétail^ prouvent que la-peuple qui les forma dut mener longtemps une vie à d^emi nomade et à demi pastorale^ et nous comprenons maintenant conunent il en vint à employer duhitar dans le sens de fille. La langue est le tableau de ]a science et des mcBurs du peuple qui la parle, et nous trouverions probablement, si nous examinions la langue d'un peuple maritime, qu'au heu de bétail et de pâturages, l'eau et le^ vaisseaux formèrent un grand nombre de mots qui prirent ensuite une signification plus générale. * Nous alloiis étudier encore d'autres mots qui indiquent rétat de la société avant la séparation de la race arienne. Nops passons les noms du fils, parce que leur étymologie est sans intérêt, leur signification étant simplement celle denaère et mèrey fils et /î/te, frère et sœur^ sont fixées, pour ainsi dire, par les lois de la nature, et les retrouver dans le langage ne prouve aucun progrès considérable dans la civilisation, quelque bien choisis que soient ces noms. Mais il y a d'autres relations, d'une origine plus réctote et d'un caractère plus conventionnel, sanctionnées, il est vrai, par les lois de la société, mais non proclamées par la voix de la nature, telles que les relations de beau- père, belle-mère , beau-fils , belle-fille , beau-frère et belle-sœur. Si Ton peut prouver que ces noms existaient dès la période la plus reculée de la civilisation anémie, on aura fait un grand progrès dans la connaissance de cette époque. Quoiqu'il y ait à peine, dans l'Afrique ou dans l'Australie, un seul dialecte où nous ne trouvions les mots de père, mère, fils, fiUof frère et sœur, et à peine une tribu où ces degrés naturels de parenté ne soient sanctifiés, il y a des langages où les degi^és d'af- finité n'ont jamais été exprimés, et des tribus qui £fn ignorent même la signification. Sanscrit, Gr^e, Latin, Gpthiqut. Siam, Celtique» heaii-père : svasura Ixvpoç socer sraibra svekr. çhwgrwa Bellc-mèpe : Kvasrû Ixupà socrus svaibro svekrvj W.cliwegjr BMu-fils: gâmâtar yapiepoc gêner Belle -Bile : snnshâ «vuô;. nurus snftr •nocba ;dêvàr Im deweriti ».M«».,;)(oà..nd„) fe.,^, U \ ... i jiUrasf femmes) ( .... î „ .. de frères) ..'{«IvaTepe;. Ce tableau montre que, bien avant la séparation de la race arienne , chacun des degrés d'afimité avait reçu MYTHOLOGIE COMPARÉE. 35 son expression et sa sanction dans le langage, et, quoi- que plusieurs espaces aient dû rester vides, les coïnci- dences suffisent pour tirer une conclusion générale. Si nous trouYOHS en sanscrit le mot putra, fils, et en cel- tique paotTj fils, la racine et le suffixe étant semblables, quoique aucun des autres dialectes ariens n'ait conservé la même forme , une telle identité ne peut être expli- quée qu'en supposant que putra était un mot arien , connu longtemps avant qu'aucune branche de la fa- mille se tdi séparée du tronc commun. Dans les langues modernes, nous pourrions, dans des cas analogues, admettre un emprunt relative- ment récent; mais dans l'antiquité aucune commu- nication semblable ne fut possible, depuis que la branche méridionale de la famille arienne eut franchi l'Himalaya^ et que la branche septentrionale eut mis le pied sur le rivage européen. On dira peut-être que plu- sieurs des formes précitées sont légèrement différentes. Da.ns gâmâtar et yaiiêpôç^ par exemple, signifiant, à l'ori- gine, époux ou mari (1), puis beau-fils, la racine est semblable ; mais la dérivation se fait dans chaque langue d'une manière particuUère. Ces différences de forme sont en général celles qui se présentent entre les dia- lectes d'une même langue, où beaucoup de formes sont possibles , et employées d'abord confusément ; puis l'une d'elles est choisie par un poète, une autre par un second , et devient alors populaire et traditionnelle. Il vaut mieux supposer cela que de croire que les Grecs, pour exprimer une relation qu'ils auraient pu rendre de tant de manières diverses, aient choisi la même racine 26 MYTHOLOGIE COMPAHËE. yaft pour former T'^iifôç et yay^Spôç^ iudépenclamment de l'hindou qui prit la môme raoûie pour le même usage, m lui donnant une forme causale et y joignant le suffîte ordinaire tar; formant ainsi gâmâ^tarf àxx lieu de gamara ou yamara , parallèle de r^iJ-Spoç. En outrei quand une des langues ariennes a perdu un terme qui fut primitivement commun à toutes, on peut quelquefois prouver son existence au moyen 4es mots dérivéa* En grec, par exemple, dans le langage littéraire, il n'y a aucune trace de nepos , petit-fils ^ que nous avons en sanscrit^ napéU, m germ, mfo ; ni de neptû^ ràniscr. napti^ germ. nift. Cependant il y a en grec^^f-vs^, cousin germain ou petit- fils du même grand^père , de même que Fonde est appelé le petit-aXeûl, avwkmlw, de avus. Ce mot oofs^ç est formé comme le laidn cimm- brinm ou consororinw ; ce dernier^ comme on sait, dé- signe les enfants de deux ou de plusieurs sœurft, et est Torigine de notre mot moderne cousin, it. ouyino, dans lequel il reste fort peu de chose du mot primittf ^soror, dont il est cependant dérivé. Le moià^v&^iéç prouve KMh tefois qu'en grec aussi, vénovç a dû exiater dandle $ens de fils ou petit-fils.On peut prouver de même l'existence ar- chsuque dans le grec d'un terme correspondait au sanacïit syâla, frère de la femme. En sanscrit un vmî appelle le frère de sa femme syâla^ la sceur de » fenime ^âU. Par conséquent^ en grec Pelée appellerait Âmphitrite et Poseidon appellerait Thétis leur syâlîs ; ayant épousé des soeurs, ils auraient des syâlîs en commun, ils se- raient ce que les Grecs appellent a-éXioc, car &y entre deux voyelles est généralement négligé en grec ; la seule ano- malie consiste cette fois en ce que Vepsilçti remplace Va long du sanscrit. MYTHOLOGIE COMPARÉE. 87 Il est enoore quelques mots qui jettent une faible lufUF sor rorgamsation primitive de la vie de famille das Ariens. La position de la veuve était consacrée dans k^âangage et dans la loi^ et nous ne voyons nulle part, à «#te époque reculée, que la femme veuve fàt con- damnée à mourir avec son époux. Si cette coutume avait «odsté, le besoin d'avoir un nom pour la veuve n'aurait pa)E( été sentij ou s'il l'avait été, le mot aurait eu proba- biemeni quelque rapport avec ce rite terrible. Or, mari 0a hoiipiae, * en sanscrit, est dhavUy mot qui ne semble pas avoir existé dans les autres langues «riennes, excepté peatrètro en celtique, où Pictet cite la forme douteuse dto, homme ou individu. De dhava^ le sanscrit forme le nom de la veuve par l'addition de la préposition vi, qui àgoJ&B sàBS^ vidhavâ^ sans mari, veuve. Ce composé a été ocmservé dans des langues qui cmt perdu le mot simple dhava, ce qui montre la grande antiquité de ce terme tn^ditionnel. Nous ne le trouvons pas seulement dami le Gi^tique fmdkh, mais encore dans le gothique piéuvo^ le slave vedova, le vieux prussien widdewû et le latin màm^ Si la coutume de brûler les veuves avait existé à cette époque reculée , il n'y aurait pas eu de pidhaviSy de femmes sans époux, puisque toutes auraient suivi leur mari dans la tombe. Le nom même indique donc, ce qAe nous pouvons d'ailleurs prouver jusqu'à l*évidence , l'origine récente de l'usage de brûler les veuves dans l'Inde (1). (4) 11 est vrai que lorsque le gouvernement anglais défendit cette triste cou- tume, les brahmanes en appelèrent aux Yédas comme établissant ce rite sacré. Ils eitèrent un des vers du Rigveda^ et GolebroolLe, le savant le plus versé dans le sanscrit, que nous ayons jamais eu, accepta leurs tra^uctiens. C*est S8 MYTHOLOGIE œMPARÉE. Nous avons rédamé pour Tépoque primitive de la race arienne le nom de veuve, ou sans mari; nous ne devons pas nous étonner que le nom d'époux soit encore, dans la plupart des langages de la grande famille, le même que celui qui fut créé par les Ariens avant leur s^ara- tion. C'est pati en sanscrit, signifiant primitivement fort, comme le latin potis ou potens. En lithuanien la forme est exactement la même, patis^ et en appliquant la loi de Grimm, ce mot devint faths en gothique. En grec nous trouvons itôaiq au lieu de ttotiç. Or, le féminin de pati en sanscrit est potni^ et il est certain que le vieux prussien pattin, à l'accusatif ti;ats/9at/m, et le grec Trorvia n'en sont que de simples transcriptions, signifiant toutes maîtresse. Ce qu'était le mari dans sa maison, le seigneur, le vaillant protecteur, le roi l'était chez son peuple. Le nom commun de peuple, en sanscrit, était vis^ d'oîi est dérivé le nom de la troisième caste , les serviteurs ou vaisyas. La même racine nous donne en sanscrit, vesOy maison, ohoç^ vicus^ goth, veihs, germain, wich^ et la terminaison anglaise moderne de beaucoup de noms d'endroits. De là vient aussi vispati^ en sanscrit, qui signifie roi, c'est-à-dire seigneur du peuple, et ce com- ici l*exemplele plus frappant des licences que peut se^rmettre un clergé sans scrupule. Des milliers de vies out été sacrifiées sur Tautorité d^n passage qui était mutilé , mal traduit et mal appliqué. Si quelqu*un avait été capable à Tépoque de Golebrooke de vérifier les citations du Rigvéda^ les brahmanes auraient pu être battus avec leurs propres armes , et leur prestige spirituel con8idéraî>lement ébranlé. Le Rigvéda^ qu*à peine un brahmane sur cent peit lire h présent^loin d'établir comme obligatoire le sacrifice des veuves, montre clairement que cette coutume n*était pas établie dans la période primitive dertiistoire de Tlnde. Un léger changement que les brahmanes ont fait aa texte sacré a suffi pour livrer bien des vies au bûcher. MYTHOLOGIE COMPARÉE. Î9 posé était devenu un titre sancdonné par les usages de la raee arienne avant la séparation, ainsi que le prouve d'une frappante manière le lithuanien wiêsTrpcUiSj sei- gneur, wietz-pcUeney dame^ comparés au sanscrit vis- ptuis et point. A cette époque reculée, la vie de famille régulièrement organisée existait donc, et déjà la famille eominençait à être absorbée par l'État : des titres con- ventionnels avaient été fixés, et étaient transmis, deux lÈSUe ans peut-être avant que Ton connût le titre de César« . Un autre mot signifiant peuple était dâsa ou dasyuy avec cette différence que vis signifie peuple, et dosa, sujetsj races conquises, et même primitivement enne- mis. Dasyu, dans les Yédas signifie ennemi ; mais dans le Zendavesta, où nous trouvons le même mot, il signifie provinces ou nations, et Darius s appelle dans les inscrip- tions cunéiformes « roi de Perse et roi des provinces » {Kàhd^aihîya Pârsaiya, Kshàyathîya dàhyunàm). Il est donc piesque certain que le grec <ïeor-7rétviç représente nn titre sanscrit dâsorpati^ seigneur de nations. Mais nous ne pouvons pas admettre que le titre de hospodar soit, comme le dit Bopp, le même que le sanscrit vispati ou ddsa-pati. Le mot est gaspadorus en lithuanien ; en vieux slave, gospod, gospodin et gospodar; en polonais, gospodarz ; en bohémien , hospodar. Un g slavon ne correspond pas au k; ou au (f sanscrit, et le t de pati n'a pas pu devenir un d (i). Benfey, qui fait dériver gospod du védique gàspat% évite la première difficulté, mais (4) Voyez les eiccellentes remariiues de Schleicher dans sa FormetUehre der kirchefUlawUchen Spraehe, 485S, p. 407. a« MYTHOLOGIE COMPARÉE. non la seconde, et il est certainement meilUmr de s'ar- rêter devant ces difficultés, que de chercher à retrouver quelques anciens termes ariens, au mépris des lois phi- lologiques, qui ne peuvent jamais être violées impuné- ment, i Un troisième nom commun à toutes les tribus ariennes pour signifier roi est râg^ dans les Védas, rex. regie en latin ; reiks en gothique, mot encore empk»yé en alle-^ mand; Reich^regnum , Frank-reich^^regnum Frim^ corum ; irlandais riogh; welche, ri. Un quatrième 90m pour signifier roi et reine est sim- plement père et mère. Ganaka, en sanscrit, signifie père^ de GANf engendrer : on le trouve dans le Yéda comme un nom de roi. C'est le vieux germain ckunin^j l'anglais king^ Mère, en sanscrit, est gani; on le re- trouve dans le grec ywH^ le gothique qinô^ le slave zerm^ l'anglais queen. Reine signifie donc primitivement mère ou dame. Nous voyons ainsi le langage de la vie de fa- mille s'introduire graduellement dans le langage poti^ tique du plus ancien état arien , et la fraternité de la famille devenir celle de l'État. Nous avons vu que le nom de maison était connu avant que la famille arienne se séparât pour se diriger vers le sud et yeirs le nord. Nous pourrions le prouver encore , en comparant le sanscrit dama avec le grec déiioçy le latin domus^ le slave domûy le celtique daimh^ et le gothique timrjany bâtir, d'où vient l'anglais timber. Cependant nous doutons de l'identité du slavon grod et gorod, et du lithuanien grod, avec le gothique gards^ latin hort'USj grec x^P'^^h signifiant tous un terrain en- clos. La partie la plus essentielle d'ime maison, autre- MYTHOLOGIE COMPARÉE. 31 kkf étant Me poMe bien attachée et capable de résister att âttftititteli deë eMemis^ nous trouyons Tancien nom de la pwte ootisei^é dans le sanscrit, dvar, dvàras. go- tiiîqM) datiti lithuanien, durrys, celtique^ dor^ grec, SjiyM^ latin, fbr69é Le constructeur ou l'architecte a le néme noÉi en n^néimt et en grec ; car takshan est le mot grec rexzav. Le grec «o-tu a été comparé au sanscrit vàttu, maison f k^^ avec le gothique haimsy Tillage, oa Panglais home. Le sanscrit puri^ ville, conservé par les Grecs dans leur mot néhçj prouve d*une manière en- core plus concluante l'existence ancienlie de villes ; et les mots sanscrits path^ pathi^ panthatty pâthas, tous noms âgnifiant sentier, le grec itdreç et le gothique fhd (aï^glaîs f o^), que Bopp croit être le même que le latin ponij pùMùf et le slavon p^nti, démontrent de même que les grandes routes n'étaient pa^ inoonnues à cette époque reculée. Les i^vetives que nous venons de donner suffisent pour établir que ]a race d'hommes capable de créer de tels mots m pouvait être une race de sauvages, de nomades» dft chaSieurs. La plupart des mots se rattachant à Tidée de chasse et de guerre diffèrent dans chacun des dia- lectes ariens > tandis que les mots se rattachant à des occupations {dus paisibles appartiennent à l'héritage conunun. Ce fait montre que toutes les nations ariennes ont mené une langue vie de paix avant leur séparation, et que leur langage n'acquit de l'individualité et de la nationalité que lorsque chaque colonie partit à la re- cherche de nouvelles demeures ; les générations nou- velles créant de nouveaux mots pour leur vie guerrière et aventureuse. C'est pourquoi non-seulement le grec et 3S MYTHOLOGIE COMPARÉE. le latin^ ainsi que Niebuhr Ta remarqué^ mais tous les langages ariens ont en commun leurs mots pacifiques, et diffèrent dans leurs expressions guerrières. De même les animaux domestiques sont généralement désignés par les mêmes noms en Europe et dans l'Inde , tandis que les bêtes sauvages ont des noms différents » même en grec et en latin. Sanurii et *ênd, Gru, Italique, Têutomiqut,Liikmuniên,Sla9ê^ CêUiquê, ffuû ipéca psaa PoOç Bétail: jdasa Bœuf eligo(nom.j . Tache i ( g)ius]...P »~" h» lïSit Taareau: tibûra aUfra Génisse: atari ... Cfaefal : Isa, aava aspa Poulain: icAXo; puUus Chien : |8Tan jspâ c { IG. biha JPnits. ) !A.H.A.6ba ) pecfcu { ••• |a.h.a. Brebis; [avi vatsa Yean: Bouc : Cbèfre : a^A Laie : su (kara) Cochon t prishat Porc : grishf i Ane : Souris : mûsch Mouche: makshikâ Oie : haasa bo. JA.H.A. chuo|Lett f^l;^^ i gohw j » facca ! JG. aubaaa ' ... ' taupoç tanms sUur ... tour OTtia (sterjiis) sUiro tmcoc equus. G. aihus. aazwa ... G. Fula , A.H.A. hundUa 5»- «•»«>" G- aTi*str. *awî IW.ych W. cania f*:" ••• Sic iofia ÎTfliXoc Titulos xàicpoç caper «u 0; SOS TCÔpKoç porcns YOipoç ovoç |iuîà 'A.ewe A.H.Â/barr Bolg. kmtt Slav, ofjsa' iC eu ••« asinus sTJnia Gaiighe mnsca .«. ozis. A.H.A. su A.d.A. farah par«zas Pol protie A. N. gris A.H.A. mAs ,., 7 Pol. mjas .,. A.H.A.micco musse R. miiehi ••. A.H.A* kaoa. zasis boh. bus. G.gsira Quelques-uns des animaux sauvages étaient connus des Ariens avant leur séparation, et ce sont les animaux qui vivent également en Asie et en Europe, Tours et le loup. Sanscrit, riksha vrika I Xûxoç I A ceux-ci il faut ajouter le serpent< ( ahi Ours Loup : Grêc, &pxioc Xûxoç Italiqut, ursus lupus (t.) irpns fixtc ) angois (lYX»>tïÇ) 5 (anguiUa) îpicCTOV ) serpens Teoioni^ae. Slapon, l Tulfs I wilka QOgurj R. ûgorj MYTHOLOGIE COMPARÉE. 33 Sans nous arrêter aux noms divers des animaux qui avaient été en partie apprivoisés et appliqués aux usages domestiques, tandis que d'autres étaient alors, comme aujourd'hui encore , les ennemis naturels du berger et de son troupeau, nous mentionnerons plusieurs mots qui indiquent que cette antique vie pastorale connaissait quelques-uns des arts primitifs, tels que le labourage, la mouture, le tissage et le travail des métaux précieux ou utiles. Le plus vieux mot pour le labourage est AR, que nous trouvons en latin arare, grec «poûv, ancien haut alle- mand aran , russe orati , lithuanien arti et gaélique ar. De ce verbe vient le nom commun de charrue, âpozpov^ aratrum, vieux saxon erida^ vieux norse ardhr, ïilavon oralo et oradlo, Uthuanien arimnas et comique aradar. "ApovpoL et arvum viennent probablement de la même racine. Mais un mot plus général pour champ est le mot inscrit pada , grec néiov , ombrien perum , polonais pole^ saxon folda, ancien haut allemand feldy field. Le blé qui poussait en Asie ne pouvait guère être semblable à celui que les nations ariennes ont cultivé dans les régions plus septentrionales. Quelques-uns des noms primitifs du blé, cependant, ont été conservés. Tel est le sanscrit yava^ zend yava^ Uthuanien jawas, qui devient en grec Çéa. Le sanscrit sveta signifie blanc et correspond au gothique hveit, ancien haut allemand Awiz et îi;iz,anglo-saxon hvît^et lithuanien kwetysMais le nom de la couleur devint aussi le nom du grain blanc, et ainsi nous avons le gothique hvaitei^ le Uthuanien kwec'io , l'anglais wheat, auquel quelques savants ont comparé le slavon shitOy et le grec œîxoç. Le nom de grain signifiait 3 34 MYTHOLOGIE COMPARÉE. à Porigine ce qui est écrasé ou moulu. Ainsi kûma en sanscrit signifie moulu , et Ton doit sans aucun doute faire dériver du même radical le russe zerno , le gothique hàurriy le latin granum. En lithuanien gima veut dire meule de moulin à bras. Le mot russe pour meule de moulin est encore shemovy et le nom gothique du moulin est qvairnus , le quim moderne. Le nom anglais de moulin mill est également d'une haute anti- quité; car il existe non-seulement dans l'ancien haut allemand mwK, mais encore dans le hthuanien malu- nos, le bohémien mlyn^ le welcheme/m, le latin mola, et le grec puXrî. On pourrait joindre aux mots précédents les mots ex- primant l'art d'apprêter les mets et de cuire au four, ainsi que la distinction ancienne entre la chair et la viande, afin de montrer que la même aversion que l'on trouve à des époques plus rapprochées de nous, chez les poètes des Védas par exemple , contre les tribus mangeant de la chair crue, était déjà ressentie à cette époque primitive. Kravya-ad [xpéaç-eôùi) et àma-ad (wfxos-e^u)) sont des noms appliqués aux barbares , et excitaient dans l'Inde autant d'horreur que w/xocpâyot et jcpewcpayot en Grèce. Le mot signifiant vêtement est le même chez toutes les nations ariennes : vastra en sanscrit , vasti en go- thique, vestis en latin, icrOinç en grec, gwisk en celtique; nous pouvons donc assigner aux ancêtres de la race arienne la connaissance de l'art de tisser et de celui de coudre. Tisser en sanscrit est ve, et dans une forme causative vap. Le latin vieo et le radical grec de ^-n-rpiov coïncident avec ve ; l'ancien haut allemand wah , l'an- glais weave , le grec ûcp-otvû), avec vap.\ MYTHOLOGIE COMPARÉE. 35 Coudre, en sanscrit, se dit siv, à^oiisûtrUy un fil. La même racine est restée dans le latin suo , le gothique suija, l'ancien haut allemand siwu^ le grec xa(7(7ù(ù pour xaza(jij(ù. Une autre racine sanscrite, nahy a une significa- tion toute semblable, et doit aussi avoir existé comme nahh et nadh. De nah vient le latin neo et nectOy le grec vé&), l'allemand nâhan et nâvaUj coudre ; de nadh vient le grec wiOw ; de nabh^ le sanscrit nabhi, et fiâbha ou ûrnandbhxij l'araignée, Uttéralement lafileuse de laine. Il y a une quatrième racine qui semble avoir eu à l'origine le sens particulier de coudre ou de tisser, mais qui prit ensuite en sanscrit la signification plus générale de faire. C'est raA:, qui peut correspondre au grec paTrrw, joindre, attacher ou coudre, et qui peut même expliquer l'autre nom de l'araignée, dpdym en grec et aranea en latin, ainsi que le nom classique de la laine tissée, 'kdxvoç OU Xâyvrjj latin lana. La valeur et l'usage de certains métaux étaient-ils connus avant la séparation de k race arienne ? On serait tenté d'abord d'en douter, car les noms de la plupart des métaux diffèrent dans les diverses contrées ha- bitées par cette race. Cependant il est certain que, . dès répoque reculée dont nous parlons, le fer fut connu et que sa valeur fut appréciée, soit pour la dé- fense, soit pour l'attaque. Quel qu'ait pu être l'ancien nom arien de ce métal, il est évident que le sanscrit ayas^ le latin ahes dans aheneus^ et même la forme contractée aeSy aerisj le gothique aw, l'ancien haut allemand er et l'anglais iron, sont des mots jetés dans le même moule et à peine altérés depuis tant de siècles. Les noms des métaux précieux, tels que l'or et l'argent, se sont trans- 36 MYTHOLOGIE COMPARÉE. formés davantage en passant entre les mains de tant de générations. Néanmoins on peut retrouver dans le cel- tique airgiod les trajces du sanscrit ragfa^a, le grec âpyv- pcç^ le latin argentum ; on a de même découvert dans le gothique gulih^ or, une analogie avec le slave zlato, le russe zolotOy le grec xp^o-oç (1) et le sanscrit hiranyam ; les terminaisons seules diffèrent notablement. Le radical semble avoir été harat^ d'où vient le sanscrit harit, la couleur du soleil et de l'aurore , de même que aurum dérive de la même racine que aurora. Quelques usten- siles de fer, employés dans la paix ou dans la guerre, ont gardé aussi leur nom primitif, et il est curieux de re- trouver la complète similitude du sanscrit joara^çw et du grec^éX£)cuç,hache,ou du sanscrit asi,épée,et dulatine/wnv. Il nous reste à examiner, pour prouver la réalité d'une période arienne primitive, une nouvelle série de preuves, négatives il est vrai, mais importantes encore. Pendant Fépoque dont nous cherchons à prouver la réahté , les ancêtres de la race arienne ont dû occuper dans l'Asie une position centrale, d'où les branches méridionales se sont portées vers l'Inde, et les branches septentrionales vers l'Asie Mineure et l'Europe. Il résulterait de là qu'avant leur séparation les Ariens primitifs ne pou-- vaient pas avoir connu l'existence de la mer; si notre théorie est exacte , le nom de la mer doit être d'une formation postérieure et différent dans les diffé- rentes langues ariennes. Il en est ainsi. Nous trouvons, à la vérité , des noms identiques en grec et en latin , (1) X^uffoc me paraît plutôt le sémitique kharous^ qui aurait passé en Grèc^ parle commerce des Phéniciens, comme le mot ixéxaXXov (rac. sémit. matai,). MYTHOLOGIE COMPAREE. 37 mais non pas dans les branches septentrionales et les branches méridionales de la famille arienne. Et même ces noms grecs et latins sont évidemment des expres- sions métaphoriques, des noms qui existaient dans l'an- cien langage , et qui ont été appUqués à ce nouveau phénomène. Pontus et nàvzo^ signifient mer dans le sens où Homère parle de ùypd xélevOa ; car pontus vient de la même source qui a donné ports , pontis , et le sanscrit pantha , sinon pathos. La mer n'était pas appelée une barrière, mais une grande route, plus utile pour le com- merce et les voyages qu'aucune autre route , et le pro- fesseur Curtius (1) a bien démontré que les expressions grecques telles que r.àvzoq dlàq Tzokvfiq et OdXadda. itèvro-j in- diquaient, même chez les Grecs, une connaissance de la signification primitive de ttôvtoç. Des mots tels que le sanscrit salila, le latin sal et le grec «Xç, dlèq ne peuvent être cités pour prouver que les anciens Ariens connais- saient la mer. Us peuvent avoir connu l'usage du sel ; c'est tout ce que peuvent prouver «Xç , sal et salïla ; lappUcation de ces mots à la mer appartient à une époque plus récente. La même remarque convient à des mots comme œquor en latin ou nekayoç en grec. On a prouvé depuis longtemps que Occka^aa est une forme dia- lectique de Odpa77 duo du tTai III. traj'as. Tp6i; très trjs tbreis IV. katvàras TÉTTapÊÇ (iriffype;) ' quatuor (Osquc, petora' keturi ► fidvôr V. panka 7C6VT6 qoinque (Osque, pomtis] penki 1 . fimf VI. shasli êÇ sex szeszi sailis VII. sapta éuxa scpteiu septyni sibun VIII. ash tau ôxTca octo asztuni ahtau IX. Dava évvéa novem dewyni niuD x dasa Séxa decern dtszimt tailiun XI. ekâdasa ëvSexa tindeciui wieiio lika uio-lii xu. dvâdasa ôcaSsxa duodccitn dwi-lika iva-lif XX. TiDsati EÎxoai viginli dwi-deszimti tvaitigjus G. satam êxaTov ceniuiu .HziiDtas tailiuD taiiiund M. •abasram. XCXioi mille tuktttaatis tbusuadi MYTHOLOGIE COMPARÉE. 41 Si nous ne pouvons expliquer les coïncidences entre les noms de nombres français, italiens, espagnols, por- tugais et valaques sans admettre qu'ils sont tous dérivés d'un type commun, le latin, nous sommes amenés à la même conclusion en comparant les noms de nombres plus anciens que nous venons de citer. Ils ont nécessai- rement été créés dans ce langage d'où dérivent le sans- crit et toutes les langues de la même famille ; mais il faut supposer que cette numération primitive s'arrêtait à cent inclusivement. Mille n'avait pas reçu d'expression à cette époque primitive, et c'est pour cela que les noms de mille diffèrent dans les divers dialectes indo-euro- péens. Ces dissemblances , toutefois , nous fournissent quelques indications sur l'histoire postérieure de la race arienne. Nous voyons le sanscrit et le zend partager le même nom de mille (sanscrit, sahasra; zend, hazanra)^ ce qui prouve que les ancêtres des brahmanes et des sectateurs de Zoroastre restèrent quelque temps unis par les liens du langage , après que d'autres branches s'étaient déjà séparées du tronc conunun. On peut tirer la même conclusion de la ressemblance du gothique ihusundi avec le vieux prussien tûsimtons (ace), avec le lithuanien tukstantis^ le vieux slavon tûisasta ; tandis que les Grecs et les Romains restent isolés et semblent avoir formé chacun séparément le nom de mille. Durant cette période primitive, antérieure à la forma- tion des nationalités distinctes, chacun des mots ariens était, dans un certain sens, un mythe. Les mots, à l'ori- gine^ étaient tous appellatifs ; ils exprimaient un des « MYTHOLOGIE COMPARÉE. nombreux attributs caractéristiques d'un objet; le choix de ces attributs implique nne sorte de poésie instinc- tive que les langues modernes ont complètement perdue. On a dit que le langage était une poésie fossile. Mais comme l'artiste ignore que l'argile qu'il manie contient des vestiges d'une vie organique primitive, ainsi nous ne sentons pas , quand nous nous adressons à un père, que nous l'appelons protecteur, et les Grecs, en employant le mot àexrip^ beau-frère, ne savaient pas qu'à l'origine ce terme s'appliquait seulement aux jeunes frères du mari qui restaient à la maison avec l'épouse, tandis que leur frère aîné était aux champs ou dans les forêts. Le sanscrit devar signifiait d'abord compagnon de jeu ; il portait en lui son histoire, c'était un mythe ; mais en grec il est dégénéré en simple nom, en terme technique. Quelquefois un souvenir vague du sens primitif reste encore, et c'est ainsi qu'en grec on ne peut pas former le féminin de $(xrip^ pas plus que nous n'oserions,méme maintenant, former un masculin au mot anglais daughter ^ fille. Mais le plus souvent, les langues perdent entièrement la conscience étymologique : ainsi nous trouvons en latin, non-seulement vidua^ sans mari, mais viduus , formation qui , analysée étymologique- ment, est absurde (l). (1) Il faut avouer pourtant que l'ancien mot latin viduus (1), nom d'Orcus qu avait un temple hors de Rome, porte à douter que le latin vidua soit rée;le- ment le sanscrit vidhauâ, malgré leur grande ressemblance, à moins que nous n'admettions que le verbe viduare soit dérivé de vidua, et qu'ensuite un nouvel adjectif ait été formé avec un sens plus général, de telle sorte que viduus ne signifiât rien de plus pour une oreille romaine que privatus, (1) (Hartung,Dt« Religion derRoemer, H, 90.) MYTHOLOGIE COMPARÉE. 43 Les langues ariennes possèdent donc un commun tré- » sor d'anciens noms qui avaient à l'origine un pouvoir expressif et poétique ; mais comment ce fait explique-t-il le phénomène du langage mythologique chez tous les membres de la famille? Comment rend-il intelligible cette phase de l'esprit humain qui donna naissance aux histoires étranges de dieux et de héros, aux Gorgones, aux Chimères, à tant de choses enfin qu'aucun œil hu- main n'avait vues, et qu'aucun esprit raisonnable ne pouvait avoir conçues ? Avant de répondre à cette question, il faut encore présenter quelques observations préliminaires relatives à la formation des mots. Tous les mots communs ariens que nous avons exa- nainés jusqu'ici se rapportent à des objets définis. Ce sont tous des substantifs, puisqu'ils expriment quelque chose de substantiel et de perceptible aux sens. A l'ori- gine, le langage n'exprimait que des objets comme noms et des qualités comme verbes. Le langage, pendant cette période primitive, n'était que l'expression consciente, au moyen des sons, d'impressions reçues par tdus les sens. Les noms abstraits nous sont si familiers, que nous pouvons à peine apprécier la difficulté qye les hommes ont eue à les former. Nous ne pouvons guère imaginer un langage sans noms abstraits. Il y a cependant des dialectes encore parlés aujourd'hui qui n'en possèdent pas, et plus nous remontons dans l'histoire du langage, moins nous trouvons de ces expressions. Un mot abstrait n'est qu'un adjectif transformé en substantif ; mais la conception d'une qualité comme sujet est d'une extrême 44 MYTHOLOGIE COMPARÉE. difficulté, et, dans Fetat actuel de l'esprit humain, elle nous parait impossible. Il y a d'autres mots que nous ne pouvons guère appeler abstraits, qui cependant ont été formés par un procédé analogue ; je veux parler des mots tels que jour et nuit, printemps et hiver, aurore et crépuscule, orage et tonnerre. Que voulons-nous dire, lorsque nous parlons du jour et de la nuit, du printemps et de Fhiver? Le temps, selon notre conception, n'est rien de substan- tiel, rien d'individuel ; c'est une qualité transformée par le langage en une substance. Si donc nous disons : «le jour commence» , « la nuit approche » , nous présentons comme agissantes des choses qui ne peuvent agir, nous affirmons une proposition qui, analysée logiquement, n'aurait pas de sujet définissable. Ceci s'applique aussi aux mots collectifs, tels que le ciel et la terre, la rosée et la pluie, et même aux rivières et aux montagnes. Car si nous disons : « la terre nourrit l'homme, » nous ne voulons parler d'aucune portion tangible du sol, mais de la terre considérée comme un tout. Dans les langues anciennes, chacun de ces mots avait nécessairement une terminaison exprimant le genre, et cela produisait dans Tesprit une idée correspondante de sexe, de telle sorte que ces noms recevaient non-seulement un caractère in- dividuel, mais encore un caractère sexuel. Il n'y avait pas de substantif qui ne fût mascuUn ou féminin, les neutres étant de formation postérieure et reconnaissa- bles surtout au nominatif. Le rôle des verbes auxiliaires dans les langues an- ciennes conduit à des considérations analogues. Us oc- cupent la même place parmi les verbes que les noms MYTHOLOGIE COMPARÉE. 45 abstraits parmi les substantifs. Us sont d'une époque postérieure, et avaient tous àl'^origine un caractère plus matériel et plus expressif. Nos verbes auxiliaires ont eu une longue suite de vicissitudes à traverser avant d'ar- river à la forme desséchée et sans vie qui les rend si propres aux besoins de notre prose abstraite. Habere, qui est maintenant employé dans toutes les langues ro- manes pour exprimer simplement un temps passé (j'ai aimé) y signifiait d'abord tenir ferme, retenir, comme nous pouvons le voir dans le dérivé habenœ, les rênes. Ainsi tenere^ tenir, devient en espagnol un verbe auxi- liaire qui peut être employé presque de la même ma- nière que habere. Le grec fx" ^st le sanscrit safe, et si- gnifiait à l'origine être fort, être capable, pouvoir. Le îatin fui, j'étais, le sanscrit bhû, être, correspondent au grec (fyoi ; or, dans cette dernière langue, on saisit encore la trace du sens primitif et matériel de croissance dans un sens intransitif et transitif. As, le radical du sanscrit a6-mi, le grec èfx-^, le lithuanien as-mi^ je suis, sont probablement liés à une autre racine âs^ s'asseoir, que nous retrouvons dans le grec w-rat, sanscrit âs-te. Stare, se tenir, devient dans les dialectes romans un simple auxiliaire, comme dans J'ai été, c'est-à-dire ha- beo statum. L'allemand werden, qui est employé pour former les futurs et les passifs, le gothique varth, nous ramènent au sanscrit vrit, au latin verto. L'anglais will, coname dans he will gOy a perdu sa signification radi- cale de désirer, et shalU employé au même temps, he shall go^ trahit encore son sens primitif d'obligation légale ou morale. M. Grimm a montré dans les verbes auxiliaires de la langue allemande des passages bien 46 MYTHOLOGIE COMPARÉE. plus hardis et au premier abord incroyables. Mais ces exemples suffisent pour montrer par quelle voie l'esprit humain est passé d'intuitions concrètes à la vue abstraite et réfléchie. Us nous serviront de clef pour montrer comment le même passage s'est effectué dans les idées de l'homme sur la nature et le monde divin. MYTHOLOGIE COMPARÉE. 47 II. Le langage mythologique manquait de mots simple- ment auxiliaires. Tout mot, soit nom, soit verbe, avait, à l'époque primitive, son pouvoir complet. Les mots étaient pesants et inflexibles. Ils disaient plus qu'ils ne devaient, et voilà pourquoi le langage mythologique nous parait si étrange. Nous parlons du soleil qui suit l'aurore, mais les anciens poètes ne pouvaient parler que du soleil aimant et embrassant l'aurore. Ce qui pour nous est un coucher de soleil était pour eux le soleil vieillissant, tombant ou mourant. Notre lever du soleil était pour eux la Nuit donnant naissance à un brillant enfant ; dans le printemps ils voyaient réellement le so- leil ou le ciel embrassant la terre dans une chaude étreinte, faisant pleuvoir et répandant des trésors dans le sein de la nature. Il y a dans Hésiode beaucoup de mythes, de date postérieure, où nous n'avons qu'à rem- placer le verbe complet par un auxiliaire, pour changer le langage my thique en langage logique. Hésiode appeUe Nyx (la Nuit) , la mère de Moros (le Sort) , et la sombre Ker (la. Destruction) mère de Thanatos (la Mort) , d!Hypnos (le Sommeil) et de la tribu des Oneiroi (les Rêves). Il dit que la progéniture de la Nuit n'a pas de père. La nuit est encore appelée la mère de Mômos (le 48 MYTHOLOGIE COMPARÉE. Blâme), du terrible Oizys (le Malheur) et des Hespérides (les étoiles du soir), qui gardent les belles pommes d'or de l'autre côté du fameux Okeanos. Elle a donné nais- sance à Némésis (la Vengeance), à Jpaté (la Fraude), à Philotès (le Désir), à la pernicieuse Géras (la Vieillesse), à l'implacable Eris (le Combat). Employons nos expres- sions modernes, telles que : « On voit les étoiles quand la nuit approche, » « nous dormons, » « nous rêvons, > € nous mourons, b « nous courons des dangers pendant la nuit, » « les réjouissances nocturnes conduisent à des luttes, à des discussions animées et à des malheurs;» «• beaucoup de nuits amènent la vieillesse et enfin la mort ; » « une mauvaise action, commise d'abord dans l'obscurité de la nuit, sera révélée enfin au jour ; b et nous aurons traduit dans la forme moderne delà pensée et du discours le langage d'Hésiode ; langage qui, tout étrange qu'il est pour nous, n'en était pas moins très- généralement compris du peuple auquel il s'adressait. C'était là à peine un langage mythologique; c'était plutôt une sorte d'expression poétique et proverbiale, comme en emploient tous les poètes, soit anciens soit modernes, et que l'on retrouve soldent encore dans le langage du peuple. Dans le langage d'Hésiode, Uranos est un des noms du Ciel. Uranos est né « afin qu'il soit un séjour stable pour les dieux bénis. » Il est dit deux fois qu'Uranos couvre toutes choses {Théog. 127), et que, lorsqu'il amène la nuit, il s'étend partout, embrassant la terre. Il semble que le mythe grec a conservé encore un vague souvenir du sens mythologique d'Uranos. Uranos, en effet, est le sanscrit Faruna, qui est dérivé d'une racine VAR, cou- MYTHOLOGIE COMPARÉE. 40 vrir ; Varuna est aussi dans les Védas un des noms du firmament, particulièrement lié à l'idée de la nuit,, et opposé à Mithra, le jour. Dans tous les cas, le nom d'U- ranos rappelait aux Grecs quelque chose de sa signifi- cation primitive. Nous le voyons appelé aorepôe/ç {étoile) ^ ce qui n'arrive jamais pour des noms comme Apollon et Dionysos. Nous ne pouvons donc guère supposer, avec M. Grote, qu'aux yeux des Grecs, « Uranos, Nyw, Hypnos ef Oneiros (le Ciel, la Nuit, le Sommeil et les Rêves), aient été des personnes connue Zeus et Apollon.» Nous n'avons qu'à Ure quelques lignes de plus dans Hé- siode, pour voir que la progéniture de Gœa, qui com- mence par Uranos, n'est pas encore arrivée complète- ment à cette personnification mythologique, à cette cris- tallisation qui rend le caractère primitif de la plupart des dieux de l'Olympe si difficile et si incertain. Dans l'introduction, le poëte a demandé aux Muses comment naquirent à l'origine les dieux et la terre, les rivières et la mer sans bomes^^es brillantes étoiles et le vaste ciel. Le poëme delà Théogonie tout entier est une réponse à cette (juestion ; nous ne pouvons donc pas douter quQ les Grecs ne vissent dans quelques-uns des noms précités de simples conceptions poétiques d'objets réels. Uranos, le premier-né de Gaea, devient ensuite une divinité, douée d'attributs et de sentiments humains ; mais plu- sieurs membres de la famille de GsBa, par exemple les Grandes Montagnes^ sont représentés comme neutres, et ne peuvent être considérés comme des personnes analogues à Zeus et Apollon. M. Grole va donc trop loin en insistant sur la signifi- cation purement Httérale de toute la mythologie î^reo- 4 50 MYTHOLOGIE COMPAREE. que. M. Grote convient que plusieurs figures mytholo- giques restées dans le langage jusqu'à une époque assez récente étaient fort bien comprises, et n'exigeaient pas plus d'explications que nos expressions « le soleil se cou- che» ou c( le soleil se lève. » Mais il refuse d'en tirer au- cune conclusion « bien que les attributs et les actes prêtés aux personnages mythologiques, dit-il, soient souvent expUcables par l'allégorie, l'ensemble des séries et des systèmes mythologiques ne l'est jamais. Celui qui adopte ce mode d'expUcation trouve, après un ou deux pas, que le chemin n'est plus tracé, et il est obligé de se frayer lui-même sa route au moyen de raffinements gra- tuits et de conjectures. » M. Grote admet ce qu'il appelle Tallégorie comme un des matériaux de la mythologie ; cependant, il n'ose tirer les conséquences de son prin- cipe, et il laisse toute la mythologie comme une énigme qui ne peut ni ne doit être résolue, comme un passé qui n'eut jamais de présent, refusant d'essayer une solution même partielle de ce problème si important dans l'histoire de l'esprit grec. Un pareil manque de courage scientifique s'il avait eu beaucoup d'imitateurs, aurait privé l'histoire de bien des traits de lumière. Dans les sciences paléon- tologiques, on doit se résigner à ignorer certaines choses^ et ce que Suétone dit du grammairien : « Boni gram- matici est nonnuUa . etiam nescire, » s'applique avec une force particuUère au mythologue. Personne n'a exprimé ceci avec plus de modestie que l'un des fonda- teurs de la mythologie comparée : Grimm, dans l'intro- duction de sa Mythologie germanique^ dit sans le moin- dre artifice : «J'interpréterai tout ce que je pourrai : mais je ne puis pas interpréter tout ce que je voudrais. » MYTHOLOGIE COMPARÉE. 54 0. Mûller a montré par l'exemple du mythe de Cyrène jusqu'à quelle récente époque le langage mythologique resta en usage chez les Grecs.La ville grecque de Cyrène, en Libye, fut fondée vers la trente-septième olympiade ; la race dominante tirait son origine des Minyens, qui régnaient principalement à lolkos, dans la Thessalie méridionale ; la fondation de cette colonie était due à Toracle d'Apollon Pythien. De là vint ce mythe : « Ky- rène, jeune fille héroïque , qui vivait en Thessalie, est aimée par Apollon et transportée en Libye. » Dans le langage moderne nous dirions : « La ville de Kyrène, en Thessalie, envoya une colonie en Libye, sous les aus- pices d'Apollon. » On pourrait donner beaucoup d'au, fres exemples où la simple substitution d'un verbe plus positif dépouille de la sorte un mythe de tout son mer- veilleux (Ij. En voici quelques-uns. Kaunos est appelé le fds de Milet ; ce qui veut dire que des colons crétois de Milet avaient fondé la ville de Kau- nos enLycie. Le mythe dit de plus que Kaunos s'enfuit de Milet pour la Lycie, et que sa sœur Byblos fut changée en fontaine, par suite du chagrin qu'elle éprouva de la perle de son frère. Milet en lonie étant plus connu que Milet en Crète, a été substitué ici par erreur à la ville {h) 0. Mûiler a montré comment les différents parents donnés aux Erimyes par les différents poètes étaient suggérés par le caractère que chaque poète leur attribuait. « Évidemment, dit-il dans son Essai sur les EuménideSy p, 484, cette généalogie répondait mieux aux vues et aux dessins poétiques d*Eschyle (ra*une des généalogies courantes qui font dériver les Erinnyes de Skotos et Gœa (Sophocle), de Kronos et Ëurynome (dans un ouvrage attribué kÉpiménide), de Phorkys (Euphorion), de Gaea Ëurynome (Istron) , d*Aché- ron et la Nuit (Eudème), d'Hadès et Persephone (hymnes orphiques), d'Hadès et dn Styx ( Athénodore et Mnaséas ). Voyez, cependant , Ares , par H. D. Mûller, p. 67. 6Î MYTHOLOGIE COMPARÉE. Cretoise ; on sait que Byblos était une petite rivière près de Milet d'Ionie. Marpessa est appelée la fille d'Evénus, et un mythe la représente comme enlevée par Idas. Was était le nom d'un héros fameux de la ville de Marpessa. Le fait ren- fermé dans le mythe, et confirmé par d'autres preuves, est que des colons partirent de la rivière Evénus et fon- dèrent Marpessa. Le mythe ajoute qu'Evénus, après avoir essayé en vain de reprendre sa fille à Idas, fut , par une métamorphose analogue à celle de Byblos, changé en fleuve, par l'effet de son chagrin. On sait que Pyrrha était le plus ancien nom de la ThessaUe, et qu'Hellen était fils de Pyrrha. M. Grote sou- tiendrait que les Grecs croyaient à l'existencei réelle d'une femme nommée Pyrrha et d'un homme nommé Hellen. Cela peut être vrai pour les Grecs relativement modernes, tels que Homère et Hésiode ; mais en fut-il ainsi à l'origine? Non certes. Le premier qui parla de Pyr- rlia,la mère des Hellènes,ne songea pas plus à une vieille femme appelée Pyrrhaque nous ne songeons à une grande dame quand nous parlons de l'Italie mère des arts. Dans des temps plus modernes encore que ceux dont parle Ottfried Mûller, nous trouvons que k parler myiho- logiquementx était une mode chez les poëtes et chez les philosophes. Pausanias se plaint de ceux « qui donnent une généalogie à toute chose, et font Pythis fils de Del- phos. » L'histoire d'Êros, dans le Phédon^ est appelée un mythe; cependant Socrate dit ironiquement « que c'est un de ceux que l'on peut croire ou ne pas croire. » Quand il raconte l'histoire du dieu égyptien Theuth, ill'appeUe «une vieille tradition. > Mais Phédon voit de suite que MYTHOLOGIE COMPARÉE. S3 cette histoire est de rinvention de Socrate, et lui dit : «Socrate, tu inventes facilement des histoires égyptien- nes ou autres.» Quand Pindare appelle Apophasis la fille d'Epiméthée, on comprenait ce langage mythologique aussi bien que s'il eût dit : « Une arrière-pensée mène à- une excuse. » Et dans Homère même, quand il est dit que les Prières boiteuses suivent Até (le Sort) en cher- chant à l'apaiser, un Grec comprenait ce langage aussi bien que nous lorsque nous disons : « L'enfer est pavé de bonnes intentions. » Quand on dit, au contraire, que les Prières sont filles de Zeus, nous ne sommes pas encore dans la sphère de la pure mythologie. Ce Zeus était pour les Grecs le pro- tecteur des suppliants ; c'est pourquoi les Prières sont appelées ses filles, comme nous pouvons appeler la Li- berté la fille de l'Angleterre, ou la Prière le fruit de Tâme. L'allégorie suffit-elle pour expliquer toute la poésie mythologique des anciens? Nous ne le pensons pas. Il faut appeler à notre aide un autre élément, qui a joué un granà rôle dans la formation du langage ancien, et pour lequel je ne trouve pas de meilleur nom que po- ly ony mie et synonymie. La plupart des noms, comme nous l'avons déjà vu, étaient à l'origine des appellatifs ou des attributs, exprimant ce qui semblait être le trait le plus caractéristique de l'objet. Mais comme beaucoup d'objets ont plus d'un attribut, il arriva nécessairement que la plupart des objets, durant la période primitive du langage, eurent plus d'un nom. Dans la suite, la plupart de ces noms devinrent inutiles, et furent rem- placés, dans les dialectes qui ont été cultivés d'une ma- Ô4 MYTHOLOGIE COMPAREE. nière littéraire, par un nom fixe, qui était en quelque sorte le nom propre de l'objet. Voilà pourquoi plus un langage est ancien, plus il est riche en synonymes. Les synonymes doivent naturellement donner nais- sance à beaucoup d'homonymes. Si nous pouvions don- ner au soleil cinquante noms exprimant différentes qua- lités, quelques-uns de ces noms seraient également ap- plicables à d'autres objets possédant la même qnalitj. Ces différents objets seraient donc appelés du même nom; ils deviendraient des homonymes. Dans les Védas, Ja terre est appelée Urvi (vaste), Prithvî (étendue), ilfaAî (grande). Le dictionnaire védi- que qu'on appelle le Nighantu mentioime vingt et un noms qui lui sont également donnés • Ces vingt et un mots sont donc des synonymes. Mais urvi (vaste) signifie aussi rivière ; prithvî (étendue) , désigne le ciel et Tau- rore; mahî (grande^ forte) est employé pour signifier va* che et discours aussi bien que pour désigner la terre. La terre, la rivière, le ciel, l'aurore, la vache et le discours deviennent donc des homonymes.Cesmots furent simples et intelligibles. Mais la plupart des termes créés au mo- ment du premier épanouissement de la poésie primitive furent basés sur des métaphores hardies. Ces métaphores ayant été oubliées, et la signification des racines s*étant obscurcie et altérée, beaucoup de mots perdirent non- seulement leur sens poétique, mais encore leur sens ra- dical ; ils devinrent de simples noms transmis dans la conversation d'une famille, compris peut-être par le grand-père, familiers au père, mais étrangers au fils et mal compris par le petit-fils. La signification radicale d'un mot s'oubliait de la sorte ; ce qui était à Torigine MYTHOLOGIE COMPAHEE. 55 un appellatif dégénérait en un simple son et devenait un nom propre. Ainsi Çeùç, qui fut à l'origine un nom 4u ciel, comme le. sanscrit dyatis^ devint graduelle- ment un nom propre qui ne trahit son sens primitive- ment appellatif que dans quelques expressions prover- biales, telles que Zeùç ust, ou a sub Jove frigido. » Après que la véritable signification étymologique d'un mot eût été oubliée, il arriva souvent que, par une sorte d'instinct étymologique qui e^dste même dans les langues modernes, un sens nouveau s'y attacha ; ainsi Aux/}y£vyîç, le fils de la lumière, Apollon, devint le fils de la Lycie ; de Mhoç^ le brillant, vint le mythe de la naissance d'Apollon à Délos. Lorsque deux noms désignaient le même objet, deux personnages sortaient de ces deux noms, et comme la même histoire convenait à tous les deux, ils étaient natu- ï«llement représentés :;umme frères ef sœurs, ou comme parents. Nous troui^ons, par exemple, Séléné,la lune, à côté de Méné^ la lune ; Helios, le soleil, et PbçEbus. Nous pouvons retrouver ainsi Jans la plupart des héros grecs des formes hun::*insées des dieux, avec des noms qui, dans beaucoup de cas, étaient des épithètes de leurs di- vins prototypes. Il arrivait encore plus fréquenmient que des adjectifs liés à un mot, parce qu'il s'appliquait à un certain objet, étaient employés avec le même mot quoique appliqué à un objet différent. Ce que l'on di- sait de la mer se disait aussi du ciel, et si l'on appelait une fois le soleil un lion ou un loup, il était bientôt doué de griffes et de crinière, même après que la métaphore animale était oubliée . Ainsi le soleil avec ses rayons dorés pouvait être appelé «à la main dorée,» main 56 MYTHOLOGIE COMPARÉE. étaiit exprimé par le même mot que rayon. Mais quand la même épithète "s'appliquait à Apollon ou à Indra, un mythe se formait ; c'est ainsi que, dans la mythologie sanscrite, nous lisons qu'Indra perdit sa main et que cette main fut remplacée par une main d'or. Ceci nous donne quelques-unes des clefs de la mytho- logie ; mais la philologie comparée peut seule nous ap- prendre à nous en servir. De même qu'en français il est difficile de trouver le sens radical des mots, à moins de les comparer aux formes correspondantes en italien, en espagnol ou en provençal ; de même, il nous serait impossible de découvrir l'origine de plus d'un mot grec sans le comparer à ses corrélatifs plus ou moins altérés en germain, en latin,, en slave et en sanscrit. Malheu- reusement, nous n'avons dans cet ancien cercle de lan- gage rien d'absolument analogue au latin. Le sanscrit n'est pas le père du latin et du grec, comme le latin est le père du français et de l'italien. Mais bien que le sans- crit ne soit qu'une des nombreuses branches de la famille, elle est sans doute l'aînée, car eHe a conservé ses mots dans l'état le plus voisin de l'état primitif ; et quaud nous réussissons à retrouver un mot latin ou grec dans sa forme correspondante en sanscrit, nous pouvons gé- néralement expliquer sa formation et déterminer sa signification radicale. Que saurions-nous du sens pri- mitif de 7r«T>?p, fXïjTYip, ôuyatYip, si nous en étions réduits à la connaissance du grec ? Mais dès que nous retrou^ vous ces mots en sanscrit, leur pouvoir primitif est clai- rement indiqué. 0. Mûller a été un des premiers à voir et à reconnaître que la philologie classique doit aban- donner à la philologie comparée toutes les recherches MYTHOLOGIE COMPARÉE. 57 étymologiques, et que l'origine des mots grecs ne peut s'établir par leur comparaison avec des mots grecs. Ceci s'applique avec une force particulière aux noms mythologiques. Afin de devenir mythologiques, il était nécessaire que certains noms perdissent leur sens radi- cal. Ainsi, ce qui dans une langue était mythologique était souvent naturel et intelligible dans un autre. Nous disons : « Le soleil se couche • ; mais dans la mythologie teutonique,un siège ou un trône est donné au soleil et il s'y asseoit. Nous doutons du sens étymologique du nom d'Hécate , mais nous comprenons de suite' Exazoç et ' EnaTyi- 60X0Ç.N0US hésitons apropos de Lucine, mais nous accep- tons immédiatement le latin Luna, qui est une simple contraction de Lucna. Ce qu'on appelle vulgairement la mythologie hindoue est de peu d'usage pour ces sortes de comparaisons. Les histoires de Siva, de Vishnou,deMa- hâdeva, de Pârvati, de Kali, de Krishna, etc., sont d'origine récente, propres à l'Inde et pleines de concep- tions étranges et fantastiques. Cette mythologie récente des Pourânas, et même des poëmes épiques, n'est d'au- cun secours pour la mythologie comparée ; mais tout un monde de mythologie primitive, naturelle et intelligible nous a été conservé dans les Védas. La découverte delà I mythologie des Védas a été à la mythologie comparée i ce que la découverte du sanscrit a été à la grammaire comparée. Il n y a, heureusement, aucun système de religion ou de mythologie dans les Védas. Les noms sont employés dans un hymne comme appellatifs, dans im autre comme des noms de dieux. Le même dieu est quelquefois représenté comme supérieur, d'autres fois comme égal, ou comme inférieur aux autres dieux. La î \f 'i" }) 58 MYTHOLOGIE COMPAUÉE- nature des dieux est encore transparente, et leur concep- tion première, dans beaucoup de cas, est clairement perceptible. Il n'y a aucune généalogie, aucun mariage arrangé entre les dieux et les déesses. Le père est quel- quefois le fils, le frère est le mari, et la divinité fémi- nine qui dans un hymne est la mère, dans un autre est répouse. Les conceptions du poëte variaient, et avec elles changeait la nature de ses dieux. Nulle part l'im- mense distance qui sépare les anciens poëmes de Flnde de la plus ancienne littérature de la Grèce n'est plus vi- vement sensible que lorsque nous comparons les mythes des Védas, qui sont tous des mythes en voie de se faire, ' avec les mythes formés et vieillis sur lesquels est fondée la poésie d'Homère. La véritable théogonie des races ariennes est dans les Védas. La théogonie d'Hésiode n'est qu'une reproduction informe de l'idée primitive. Il faut lire les Védas pour savoir à quelle nature de con^» ceptions l'esprit humain, bien que doué de la conscience naturelle d'un pouvoir divin, est inévitablement amené par la force irrésistible du langage appliqué aux idées surnaturelles et abstraites. Pour faire comprendre aux Hindous qu'ils adorent de simples noms de phénomè- nes naturels, graduellement obscurcis, puis personnifiés et déifiés, il faudrait encore recourir aux Védas, C'était une erreur des premiers Pères de l'Église de traiter les dieux païens de démons ou de mauvais esprits, et nous devons éviter de commettre la même méprise relative- ment aux dieux des Hindous. Leurs dieux n'ont pas plus de droits à une existe ace substantielle que Eos ou He- mera, que Nyx ou Àpaté. Ce sont des masques sans ac- teurs, des créations de l'homme et non ses créateurs; ils MYTHOLOGIE COMPARÉE. 59 sont nominaj et non numina ; des noms sans étre^ et non des êtres sans nom. On peut quelquefois expliquer un mythe grec,[latin ou teutonique avec les ressources que chacime de ces lan- gues possède encore ; de même que beaucoup de mots grecs peuvent s'expliquer étymologiquement sans au- cune comparaison avec le sanscrit ou le gothique. Nous commencerons par quelques-uns des mythes de la pre- mière espèce, et nous arriverons ensuite aux plus diffi- ciles, à ceux qui doivent recevoir la lumière de régions plus^ éloignées, des rochers neigeux de Flslande et des chants de TEdda, ou des bords , des « Sept Rivières i et des hynmes des Védas. La riche imagination de l^ nation grecque, sa prompte perception et sa vivacité intellectuelle font comprendre facilement comment, après la séparation de la race arienne, aucune langue ne fut plus riche et aucune my- thologie plus variée que celle des Grecs. Les mots étaient créés avec une facilité merveilleuse, puis ou- bliés avec rinsouciance que donne aux hommes de gé- nie la conscience d'un pouvoir inépuisable. La création de chaque mot était à l'origine tout un poëme. Mais ces mots, semblables à la poésie populaire de la Grèce, ou- bliaient bientôt le poëte à qui ils devaient leur existence, s'ils étaient adoptés par la tradition, et s'ils vivaient dans le langage d'une famille, d'une ville, d'une tribu. Leur descendance généalogique, leur caractère primitif et leur signification étymologique étaient inconnus aux Grecs eux-mêmes. Les Grecs se souciaient aussi peu de l'individuaUté étymologique de leurs mots que du nom de chacun de leurs bardes. Homère suffisait à leur eu- I 60 MYTHOLOGIE COMPARÉE. riosité, et ils acceptaient volontiers toute étymologie qui expliquait quelque partie du sens d'un mot, aucune considération historique n'intervenant jamais dans leurs suppositions ingénieuses. On sait comment Socrate change, sur l'inspiration du moment, Éros en un dieu ailé ; Homère trouve tout aussi facilement des etymo- logies, et ces etymologies ne prouvent qu'une chose, c'est que la véritable origine des noms des dieux avait été oubliée longtemps avant lui. Lorsque quelques-uns des personnages mythiques ont conservé des noms intelligibles en grec, le sens du mythe est facile à découviîr. Les nomsd'Eos, dé Séléné, d'Hélios, sont des mots qui portent en eux leur propre histoire. Prenons pour exemple le beau mythe de Sé- léné et d'Endymion : Endymion est le fils de Zeus et de Kalyke^ mais il est aussi fils d'Aethlios, roi d'Élide, ap- pelé lui-même fils de Zeus, et à qui Endymion succéda, dit-on, comme roi d'Élide. Ceci localise notre mythe, et montre que l'ÉUde est le lieu où il naquit ; sans doute, selon la coutume grecque, la race régnante d'Élide croyait tirer son origine de Zeus. La même coutume pré- valut dans rinde ancienne et produisit les deux grandes familles royales : la race solaire et la race lunaire. Il peut y avoir eu un roi d'Elide, Aethlios, ayant eu un fils En- dymion ; mais ce que le mythe dit d'Endymion ne peut être arrivé au roi d'Élide. Le mythe transporte Endy- mion en Carie, au mont Latmos, parce que c'est dans la caverne latmienne que Séléné vit le beau dormeur, Taima et le perdit. Or, il ne peut y avoir aucun doute sur la signification de Séléné ; lors même que la tradi- tion n'aurait conservé que son autre nom Astérodia^ MYTHOLOGIE COMPARÉE. 64 nous aurions traduit ce synonyme par «Voyageuse parmi les étoiles, » c'est-à-dire Lune. Mais qui est Endymionî C'est un des nombreux noms du soleil, et l'un de ceux qui se rapportent spécialement au soleil couchant ou mourant. Ce mot est évidemment dérivé de év-^uw, mot qui dans quelque dialecte du grec ancien signifiait sans doute sejcoucher, quoique dans le grec classique le verbe simple dv(ù soit seul resté le nom technique du coucher du soleil. De hâviia fut formé év^up'wv, comme ovpavicùv de oùpocvéç^ et comme l'ont été la plupart des noms de mois grecs. Si hS^ixa était devenu le nom ordinaire du coucher du soleil, le mythe d'Endymion ne se serait jamais formé. Mais la signification primitive d'Endy- mion étant oubliée,' ce qu'on disait à l'origine du soleil couchant devint l'attribut d'un certain personnage en- visagé comme un dieu ou un héros. Le soleil couchant dormit autrefois dans la caverne latmienne, la caverne de la nuit (Latmos étant dérivé de la même racine que Leto, Lâtona, la nuit) ; mais maintenant il dort sur le mont Latmos, en Carie. Endymion, plongé dans un étemel sommeil après une vie d'un seul jour, était aw- PrefcÀs le soleil couchant, le fils de Zeus, le ciel brillant, et de Kalyke, la nuit qui couvre tout (de xaXûTrrw) ; ou de Zeus et de Protogeneia, la déesse née la première, identique à l'Aurore, qui est toujours représentée, soit comme la mère, soit comme la sœur ou l'épouse aban- donnée du Soleil. Maintenant il est le fils d'un roi d'É- lide, sans doute parce que les rois prenaient souvent des noms de bon augure, liés avec le soleil, la lune, ou les étoiles. Un mythe lié à un nom du soleil a ité ainsi reporté sur son homonyme humain. Dans 1 6Î MYTHOLOGIE COMPARÉE. Fancien langage poétique et proverbial de TÉlide, le peuple disait : «Séléné aime Eudymion et le regarde,» au lieu de dire : «Il commence à faire nuit ; » ou bien : « Séléhé embrasse Endymion, » au lieu de : « Le soleil se couche, et la lune se lève ; » ou bien : « Séléné em- brasse Endymion endormi, » au lieu de : « Il fait nuit.» Ces expressions restèrent longtemps après que leur signi- cation eut cessé d'être comprise ; et, du consentement de tous, sans aucim effort personnel^ une histoire sefonna, d'après laquelle Endymion aurait été un jeune garçon aimé d'une jeune dame, Séléné. Si les enfants voulaient en savoir davantage, la grand-mère leur contait que ce jeune Endymion était fils de Protogeneia, c'est-à-dire de FAurore donnant naissance au Soleil, ou de Kalyke, la sombre et épaisse Nuit. Ce nom faisait vibrer bien des cordes : on pouvait donner trois ou quatre raisons dif- férentes (comme Font fait les anciens poètes) du sommeil étemel d'Endymion ; et si un poëte populaire avait fait allusion à Time de ces explications, elle devenait bien- tôt im fait mythologique, répété par les poëtes posté- rieurs ; de telle sorte qu'Endymion devint à la fin le type, non plus du soleil couchant, mais d'un beaijj garçon aimé d'une chaste jeune fille, et, par conséquent, un nom très-propre à un jeune prince. Beaucoup de mytheiô ont ainsi été transférés à des personnes, à cause d'une simple similitude de nom. Il faut cependant avouer qu'il n'y a aucune preuve historique de l'existence d'un prince d'Élide appelé Endymion. Telle est la loi qui préside à la formation d'une lé- gende. A l'origine, elle n'est qu'un simple mot, un de ces mots nombreux qui n'ont qu'un cours local et perdent MYTHOLOGIE COMPARÉE. 63 leur valeur si on les transporte en des endroits éloignés; mots inutiles pour l'échange journalier de la pensée, monnaie falsifiée dans les mains de la foule, qu'on ne jette point cependant, mais qu'on garde comme curio- sité et comme ornement, jusqu'à ce que l'antiquaire la déchiffre après bien des siècles. Malheureusement,nous ne possédons pas ces légendes telles qu'elles étaient lors- qu'elles passèrent de bouche en bouche dans les villages oudans les châteaux des montagnes. Nous ne les avons pas telles que les contaient les vieillards, en un langage qu'eux-mêmes ne comprenaient qu'à demi, et qui de- vait sembler étrange à leurs enfants, ni comme les con- tait xm poëte d'une cité naissante^ qui personnifiait les traditions de son voisinage dans im long poëme, en leur attribuant une forme et une durée certaines. Nous n'a- vons pas pour la Grèce de légendes semblables à celles que Grimm a recueillies dans ssl Mythologie^ de la bouche du pauvre peuple en Allemagne. Excepté les cas où Ho- mère a conservé un mythe local, tout est arrangé comme un système, ayant au commencement la Théogonie j le Siège de Troie au miheu, et le Retour des héros à^la fin. Mais cqfnbien de parties de la mythologie grecque ne sont pas mentionnées par Homère ! Nous arrivons après lui à Hésiode, moraliste et théologien, et ici encore nous ne retrouvons qu'un petit fragment du langage mytho- logique de la Grèce. Nos principales sources sont donc les anciens chroniqueurs qui prirent la mythologie pour de l'histoire, et ne lui empruntèrent que ce qui répondait à leur dessein. Et ceux-ci môme ne nous ont point été conservés ; seulement ils furent la source où les écrivains postérieurs, tels qu'Apollodore et les scholiastes, prirent 1 64 (MYTHOLOGIE COMPARÉE. leurs informations. Le premier devoir du mythologue est d'éclaircir ce mélange, d'écarter tout ce qui est sys- tématique et de réduire chaque mythe à sa forme pri- mitive. Il faut retrancher complètement beaucoup de choses qui ne sont pas essentielles ; après que la rouille est enlevée, il faut déterminer avant tout, conune pour les anciennes médailles^ la localité, et^ s'il est possible, l'âge de chaque mythe par le caractère de sa formation. De même que nous classons les médailles ancieimes en monnaies d'or, d'argent et de cuivre^ nous devons dis- tinguer soigneusement les légendes des dieux, celles des héros et celles, des hommes. Si nous réussissons à dé- chiffrer ainsi les anciens noms et les légendes de la my- thologie grecque oude toute autre mythologie, nous ver- rons que le passé àe la mythologie grecque, ou de toute autre mythologie, a eu son présent, qu'il y a des traces de pensée çrganique dans ces restes pétrifiés, et que ce^ stratifications maintenant ensevelies si profondément ont formé autrefois la surface du langage grec. La lé- gende d'Endymion éta it un prsent à l'époque où le peuple d^Élide comprenait le vieux langage d'après le- quel la Lune (ou Séléné) se levait sous le voile de la Nuit (ou dans la caverne latmieime) pour voir et admirer, dans un silencieux amour, la beauté du soleil couchant^ c'est-à-dire Endymion le dormeur, le fils de Zeus, et lui accorder le double don d'un étemel sommeil et d'une jeunesse perpétuelle. Endymion n'était pas le Soleil dans son caractère di- vin de Phœbus Apollon, mais une conception du Soleil dans sa course de chaque jour, se levant de bonne heure du sein de l'Aurore, et, après une courte et brillante car- MYTPOLOGIE COMPARÉE. 65 rière, se couchant le soir, pour ne jamais revenir dans cette vie mortelle. De semblables conceptions sont fré- quentes dans la mythologie arienne, et le Soleil consi- déré de cette façon est quelquefois représenté comme divin, mais non immortel, d'autres fois comme vivant, mais endormi , ou comme un mortel aimé d'une déesse, mais atteint par le sort de l'humanité. Ainsi Tithonos , étant dérivé de la même racine que Titan (1), exprimait à l'origine l'idée du Soleil dans son caractère quotidien ou annuel. De même qu'En- dymion, . il ne jouit pas de l'immortaUté complète de Zeus et d'Apollon. Endymion conserve sa jeu- nesse, mais il est voué au sonmfieiL Tithonos est rendu immortel, mais comme Éos a oubUé de demander pour lui la jeunesse éternelle, il devient un vieillard décré- pit, dans les bras de sa femme toujours jeune, qui l'ai- mait quand il était jeune, et qui est bonne pour lui dans sa vieillesse. D'autres traditions, craignant peu les contradictions, ou prêtes à les résoudre, même au prix des expédients les plus atroces, font de Tithonos le fils d'Eos et de Képhalos, comme Endymion était le fils de Protogeneia, l' Aiu^ore ; cette liberté montre qu'à l'ori- gine un Grec savait ce que signifiait une phrase comme celle-ci : Eos quitte chaque matin le lit de Tithonos. Tant que cette expression fut comprise, le mythe fut un pré- sent ; mais ce fut un passé dès que Tithonos devint im fils de Laomédon, frère de Priam et prince de Troie, et que son fils, l'Éthiopien Memnon, dut prendre part à la guerre troyenne. Alors ce langage, qu'Éos quittait son Ut le matin, devint mythique et n'eut plus (4) Voyez Tessal de Jacob Grimm sur le Dieu de V Amour, M nrraoLOOiE compàhéb. qn'tme signification conventionnelle ou traditionnelle. Et cependant, même alors, le vieux mythe semble flot ter confusément dans la mémoire du poëte ; car lorsque Eos pleure son fils, le beau Memnon, le poète appelle ses pleurs « la rosée du matin , » de sorte que Ton peut dire que le passé était encore à demi un présent. Nous avons dit que Képhalos était regardé comme Va- mant d'Éos et le père de Tithonos ; nous ajouterons que Képhalos, de même que Tithpnos et Endymion, était encore un de ces noms du Soleil. Mais Képhalos- était le Soleil levant, la tête de la lumière^ expres- sion souvent employée dans différentes mythologies pour désigner le soleil. Dans les Védas, où Ton parle du soleil comme d'un cheval, la tète du cheval est une ex- pression signifiant le soleil levant. Les nations teutoni- ques parlent du soleil comme de Fœil de Wuotan, de même qu'Hésiode parle de « l'œil de Jupiter qui voi* toute chose .y> Dans les Védas, le soleil est encore appelé € la face des dieux ,» ou « la face d'Aditi, » et il est dit que les vents obscurcissent l'œil du soleil par des tor- rents de pluie. Une idée semblable conduisit les Grecs à fon^ef le nom de Képhalos, et lorsqu'on l'appelait le fils de Hersé, la Rosée, cela signifiait dans le langage mythologique ce que nous exprimerions par le soleil se levant sur des champs couverts de rosée. On raconte de Képhalos qu'il était le mari de Prokris, qu'il l'aimait, et qu'ils se jurè- rent d'être fidèles l'un à l'autre. Mais Éos aussi aime Képhalos ; elle lui avoue son amour, et Képhalos, fidèle à Prokris, ne l'accepte pas. Eos, qui connaissait sa ri- vale, répond à Képhalos qu'il faut rester fidèle à Pro- MYTftQLOOIE COMPARÉE. 67 kris, jusqu'à ce que cette dernière manque à son ser- ment. Képhalos accepte la gageure, approche de sa femme déguisé en éti*anger, et obtient ses faveurs. Pro- kris, découvrant sa honte, s'enfuit en Crète. Là, Diane lui donne un chien et une lance qui ne manque ' jamais son but, etProkris retourne auprès de Képhalos, déguisée en chasseur. Pendanttju'ellechasseavec Képhalos, celui- ci lui demande le chien et la lance. Elle les lui promet en tetour de son amour, et quand il y a consenti, elle se fait reconnaître, et est reprise par Képhalos. Cependant Prokris craint les charmes d'Éos, et pendant qu'elle épie avec jalousie son inari, elle est tuée par lui avec la lan ce qui ne manquait jamais son bat. Avant de pouvoir expliquer ce mythe, qui est raconté avec beaucoup de variantes par les poëtes grecs et latins, il faut le disséquer et le réduire à ses éléments constitutifs . Le premier de ces éléments est : a Képhalos aime Pro- kris.» Pour expliquer Prokris, il faut recourir à une comparaison avec le sanscrit, où prttsh et prish signi- fient «arroser, » et sont employés principalement pour designer les gouttes de pluie. La même racine dans le langage teutonique a pris le sens de k gelée,» et Bopp identifie prush avec l'ancien haut-allemand frus^ fri- genre. En grec, nous devons rapporter à la môme racine irpcbl^ 7t|Dck)xoç, une goutte de rosée. Ainsi, Prokris dé- signe la rosée, et la femme de Képhalos n'est qu'une répétition de Hersé, sa mère ; Hersé, rosée, étant égale- nàent dérivé du sanscrit vmA, arroser. La première partie de notre mythe signifie donc simplement : « Le soleil baise la rosée du matin. » Le second élément est : ARÉB. 7^ dans le sens d'une couleur haute ou criatde comme le irouge (cf. rudhira, èpvOpéç, ruber, rufUSj lith. rauda^ Ancien haut-allem. rôt) . En outre, Pourouravas se nomifte lui-même Vasishtha, mot qui est encore lin des noms du soleil, et il est appelé Aidu, le fils d'Ida, le même nom qui ailleurs est donné à Àgni, le feu (Rigvéda, ÏII, XXIX, 3). Mais revenons à Thistoire d'Urvâsl . Cette histoire sous sa forme la plus ancienne, se trouve dans le brâhmana du Yadjourvéda. « Une fée nommé Urvasî devint amoureuse de Prou- pouravas, le fils d'Ida, et quand eUe le rencontra, eUe Id dit : Embrasse- moi trois fois par jour, mais jamais con- toe ma volonté, et que je ne te voie jamais sans tes vête- ments royaux. » De cette manière elle vécut longtemps avec lui. Alors ses anciens amis, les Gandharvas, dirent : « Cette Urvasl demeure depuis longtemps parmi les mor- tels ; faisons-la revenir. » Or, il y avait une brebis, avec deux agneaux, attachés à la couche d'Urvasl et de Pourouravas, et les Gandharvas en volèrent un. Urvasî dit : « Ils prennent mon chéri, comme si je vivais dans un pays où il n'y a ni héros ni homme. » Ils volèrent le second, et elle fit encore des reproches à son mari. Alors Pourouravas regarda et dit : « Comment la terre où je suis peut-elle être sans héros ni homme? > Et il s'élança tout nu, trouvant trop long de mettre ses vêtements. Alors les Gandharvas envoyèrent un éclair, et Urvasî vit son mari sans vêtement comme avec la lumière du jour. Alors elle disparut, k Je reviens, » dit-eUe, et elle partit. Alors il pleura son amour perdu, et il alla près de Kouroukshetra. Il y a là un lac appelé Anyatahplaksha, 80 IIYTHOLOGIE COMPARÉE. plein de fleurs de lotus ; et tandis que le roi se prome- nait sur ses bords» les fées jouaient dans Feau sous la forme d'oiseaux. Urvasl aperçut le roi et dit : «Voici rhomme avec qui j'ai demeuré si longtemps. » Alors ses amies lui dirent : « Apparaissons dérant lui.^ » Elle y consentit, et elles apparurent devant lui. Alors le roi la reconnut et dit : c< Hélas I ma femme ! reste, cruelle ! parlons un peu. Nos secrets, si nous ne les disons mainte- dant, ne nous apporteront pas de bonheur plus tard. > Elle lui répondit : « Que ferais-je de tes paroles? Je suis partie comme la première des aurores. Pourouravas, re- tourne chez toi» Je suis difficile à saisir comme le vent.» Il répondit avec désespoir : « Alors, que ton ancien ami tombe maintenant pour ne jamais se relever ; qu'il s'«yi aille bien loin^ bien loin ! qu'il se couche sur le seuil de la mort, et que les loups avides le dévorent!» Elle lui répondit : c^Pourouravas, ne meurs pas ! ne tombe pas! que les loups méchants ne te dévorent pas ! Il n'y a pas d^amitié avec les femmes ; leurs cœurs sont des cœiu's de loups. Quand je vivais parmi les mortels sous une forme différente, quand je demeurai avec toi bien des nuits pendant quatre automnes, je mangeai un jour un petit morceau de beurre, et même maintenant j'en ai encore du plaisir. » Ainsi son cœur s'adoucit enfin, et elle dit : « Viens à moi la dernière nuit de l'année ; tu seras avec moi pendant une nuit, et un fils te naîtra. » Il alla la la dernière nuit de l'année aux sièges dorés, et quand il fut seul, on lui dit de monter, et alors ils lui envoyè- rent Urvasl. Alors elle dit : » Les Gandharvas t'accorde- ront un souhait demain ; choisis i» ! Il dit : « Choisis pour moi. » Elle répondit : « Dis-leur ; Que je sois un \ MYTHOLOGIE GOl^RËE. 84 de VOUS». Le lendemain matin, de bonne heure, les Gandharvas lui accordèrent un don ; mais quand il dit : « Que je sois un devons I «ils répondirent : « Le feu sa- cré, au moyen duqueLFhomme pourrait accomplir un sacrifice et devenir l'un de nous, ne lui est pas encore connu. » Alors ils initièrent Pourouravas aux mystères d'un certain sacrifice,et quand il l'eut accompli, il devint l'un des Gandharvas. » ' Voilà la simple histoire contée dans les Brâhmanas, avec l'intention évidente de montrer l'importance du rite dont il y est question : c'est en allumant du feu par je frotteipent que Pourouravas obtient l'immortalité. Les vers cités dans l'histoire sont tirés du dernier livre du Rigvéda, où nous trouvons, au milieu de beaucoup de rester étranges de poésie populaire, un dialogue entre les deux amants, consistant en dix-sept vers. L'auteur du Brâhmana n'en a connu que quinze ; mais dans l'un des vers qu'il cite, Urvasl dit : « Je suis partie pour toujours comme la première des aurores, y Ce trait montre dans l'esprit du poète ime étrange lueur de l'ancien mythe, et nous rappelle les larmes que la mère de Memnon ver- sait sur le cadavre de son fils, larmes que les poètes plus récents nomment encore la rosée du matin. Dans le quatrième vers, Urvasl se désigne encore plus claire- ment comme identique à l'Aurore. Elle dit à Pouroura- vas qu'il a été créé par les dieux pour arrêter les pou- voirs de l'obscurité, tâche invariablement attribuée à Indra et aux autres héros solaires. Enfin les noms des compagnes d'Urvàsi se rapportent à l'Aurore. Aucune déesse n'est aussi fréquemment appelée l'amie de l'homme que l'Aurore. Elle va dans chaque maison 6 I! m MYTHOLOGIE COMPARÉE. (Rigvéda J, cxxm, 4); elle pense à lademeure de Themme (I, Gxxm, 1) ; elle ne méprise ni le petit ni le grand (I, cxxiv, 6); elle amène la richesse (I, xLvra,!) ; eUe est toujom^s la même, immortelle et divine (I, cxxiv, 4 ; I, Gxxui, 8) ; elle ne vieillit pas (I, cxiit/ 1 5) ; dde est la déesse toijjours jeune, mais elle fait vieillir l'homme (I, LXLii, H). Aussi Pourouravas appelle-t-il Urvasî Timmortelle parmi les mortels, et, dans son dernier vers, s'adresse-t-il à sa bien*aimée en lui disant qu'elle rem- plit l'air de lumière. . Il faut certainement admettre que, même à l'époque des Védas, les poètes ignoraient autant la signification primitive d'Urvast et de Pourouravas qu'Homère?celle de Tithonos et même d'Eos, Pour eux, c'étaient là des hé- ros,des êtres indéfinis, à demi des hommes et àdevûdes dieux. Mais, grâce à la philologie comparée, le véritable sens de ces fictions se dévoile ànosregards,quoiqij^nous soyons placés beaucoup plus loin de l'époque 0ÎII9ÎI68 fu- rent imaginées. L'antiquité parlait encore du Soleil au et de la chaste Aurore se cachant la figure quand elle voyait son époux . Après que le Soleil a voyagé dans le monde à la recherche de sa bien-aimée. quand il arrive au seuil de la mort et va terminer sa vie solitaire, elle lui apparaît de nouveau dans le crépuscule, et die l'em- porte aux sièges dorés des immortels. Le crépuscule pa- raît ici identifié à l'Aurore, comme dans Homère Eos commence et finit le jour (1) . Ce mythe montre bien que la poésie ancienne n'est que le faible écho du langage ancian, et que c'est la na- ture qui inspira toujours le poète primitif. L'idée d'un (4) Od. V, 390. Î^XX* «te 59| t?(tov ^(xap iOuXoxaiio; TeXw* ^«;. MYTHOLOGIE COMPARÉE. 83 jeune héros, soit qu'on l'appelle Balder, Sigfrid, Achille, Méléàgre ou Képhalos, expirant dans la plénitude de sa jeunesse, cette histoire si fréquenunent contée, localisée et individualisée, fut suggérée à l'origine par le soleil mourant à la fiii du jour dans toute la vigueur de la jeu- nesse, frappé par les puissances de la nuit, ou percé à la fin de la saison solaire par Faigmllon de l'hiver. Le des- tin fatal en vertu duquel ces héros solaires devaient abandonner l'objet de leur premier amour, lui devenir infidèles ou en être trahis, était aussi emprunté à la nature., Leur sort était inévitable : ils devaient mourir ^ soit de la main de leurs parents ou de leurs meilleurs amis, «oit par une trahison involontaire* Le Soleil aban- donne l'Aurore, meurt à la fin du jour, pour obéir aux lois d'une inexorable destinée, et la nature entière le pleure ; ou bien le Soleil du printemps épouse la Terre, puis l'abandonne, se refroidit, et est enfin tué par l'ai- guillén de l'Hiver. C'est là une ancienne histoire, mais elle est toujours nouvelle dans la mythologie et dans les légendes du monde antique. Ainsi dansl'Edda Scandi- nave, Balder, le prototype divin de Sigurd et de Sigfrid, est aimé du monde entier. Les dieux et les honmies, la nature entière, tout ce qui croit et vit a juré à la mère de ne pas blesser le brillant héros. Le gui seul, qui ne croit pas sur la terre, mais sur les arbres, a été oublié, et Balder est tué au solstice d'hiver par ime branche de gui *que Hoder lui jette par mégarde. Ainsi Isfendiar, dans le poème épique delà Perse, le Schahnameh^ ne peut être blessé par aucun glaive ; ce- pendant il doit être tué par une épine lancée en guise de flèche dans son œil par Roustem. Roustem, à son tour^ I t 84 MYTHOLOGIE COMPARÉE. ne peut être lue que par son frère ; Héraclès, par l'amour égaré de sa femme ; Sigfrid, par la sollicitude inquiète de Krimhild ou par la jalousie de Brunhild qu'il a aban- donnée. Il n'est vulnérable qu'à un seul endroit, comme Achille, et c'est là queHagen (l'épine) le frappe. Tous ces contes sont des fragments de mythes solaires. La nature entière était divisée en deux royaumes : l'un noir, froid, semblable à l'hiver et à la mort ; l'autre bril- lant, chaud, plein de vie, comme l'été. S^^urd, le hé- ros solaire de VEdda^ le descendant d'Odin, tue le ser» pent Fafnir, et conquiert le trésor sur lequel Andvari, le nain, a prononcé sa malédiction. C'est le trésor des Niflungar, le trésor de la terre que les sombres pouvoirs de la nuit et de l'obscurité ont emporté. Sigur représente ici le soleil du printemps, le reprend, et, comme Demeter ayant recouvré sa fille, la terre s'enrichit de tous les tré- sors. Puis, selon r£dda,SigurddéUvre Brunhild, qui avait été condamnée à im sommeil magique, après qa'Odin l'eut blessée avec une épine, mais qui maintenant, comme le printemps après le sommeil de l'hiver, renaît à une nouvelle vie par Tamour de Sigurd. Sigurd,- le seigneur du trésor ( Fflwupa^i) , est entraîné par sa des- tinée. Il engage sa foi à Brunhild, et lui donne la bague fatale qu'il a prise dans le trésor. Mais il faut qu'il aban- donne Brunhild, et quand il arrive au château de Gun- nar, Grimhild, la femme de Gunnar, lui fait oublier Brunhild, et il épouse Gudrun, sa fille. Déjà sa course commence à décliner. Il est Ué à Gunnar, et même il doit conquérir pour lui son ancienne épouse, Brunhild, que Gunnar prend pour f emme. Gunnar semblejsignifier obscurité^ et]toute la fable signifie ainsi que le printemps MYTHOLOGIE COMPARÉE. 85 qui s*éveille et fleurit est enlevé par tîunnar, comme Pro- serpine par Pluton, comme Sltâ par Râvana. Gudnm, la fille de Grimhild, est quelquefois aussi appelée comme sa mère, soit que ce dernier nom signifiât été (cf. gharma en sanscrit), ou bien qu'il désignât la terre et la nature dans la dernière partie de l'année ; elle est sœur du som- bre Gunnar, et, quoique mariée maintenant au brillant Sigurd, elle appartient elle-même aux régions téné- breuses. Gunnar, qui a forcé Sigurd à lui céder Brun- hild, trame maintenant la mort de son parent, parce que Brunhild a découvert en Sigurd son ancien amant, et veut se venger. Hogni cherche à dissuader son frère Gunnar du meurtre ; mais le troisième frère, Hoder, poi- gnarde Sigurd endormi pendant le solstice d'hiver. Brunhild l'a toujours aimé, et quand son héros est mort, elle est brûlée sur le même bûcher que Sigurd, une épée étant placée entre les deux amants. Gudrun pleure aussi la mort de son mari, puis elle l'oublie, et épouse Atli, frère de Brunhild. Atli réclame alors le trésor de Gun- nar et de Hogni, du droit de sa femme, et quand ils re- fusent, il les invite à venir dans sa maison, et les fait prisonniers. Gunnar refuse de révéler l'endroit oîi le tré- sor est enterré, jusqu'à ce qu'il voie le cœur d'Hogni, son frère. On lui apporte un cœur, mais qui tremble, et il dit : a Ce n'est pas le cœur de mon frère. ^ Le vrai cœur d'Hogni est apporté, et Gunnar s'écrie : « Mainte- nant je sais seul où est le trésor, et le Rhin l'aura avant que je te l'abandonne. ^ Il est alors lié par Atli, et jeté parmi des serpents. Mais il charme les serpents eux- mêmes, en jouant de la harpe avec ses dents, jusqu'à ce qu'enfin une vipère grimpe sur lui et le tue. 86 MYTHOLOGIE COMPARÉE. Dans rhistoire des Niebelungen, écrite en Allemagne à la fin du douzième siècle, ce mythe est bien changé. Tous les héros sont chrétiens et ont été identités avec des personnages historiques du quatrième, du cin- quième et du sixième siècle. Gunther est localisé en Bourgogne, où nous savons qu'en 435 un Gundicarius ou Gundaharius fut roi ; c'est le même qui, selon Cas- siodore, fut vaincu d'abord par Aétius, et ensuite par les Huns d'Attila. A cause de cela, Atli, frère de Bnm- hild et second mari de Gudrun'(ou Krimhild) est iden- tifié à Attila, le roi des Huns (455), et même le frère d'Attila, Bleda, devient Blodelin, le premier qui attaqtia les Bourguignons et fut tué par Dankwart. D'autres per- sonnages historiques sont entraînés dans le tourbfflon de l'histoire populaire, personnages qui n'ont aucun précédent dans TEdda. Ainsi nous trouvons dans les Niebelungen Dietrich de Bern, le même que Théodoric le Grand (454-525), qui vainquit Odoacre à la bataille de Ravenne (la fameuse Rabenschlacht), et véeat à Vérone, en allemand Bern. On a reconnu également que Irenfried, le landgrave de Thuringe qui figure dans le poème, était Hermanfried, roi de Thuringe, marié à Amalaberge, nièce de Théodoric. La coïncidence la plus extraordinaire toutefois est celle de Sigurd, l'amant de Brunhild, identifié avec Sigebert, roi d' Australie, qui régnait de 561 à 575, qui fut marié à la fameuse Bru- nehaut, qui défit les Huns, et fut enfin assassiné, dans les circonstances les plus tragiques, par Frédégonde, la maltresse de son frère Chilpéric. Cette coïncidence entre le mythe et l'histoire est si grande, que quelques criti- ques évhéméristes font dériver toute la légende des Nie- MYTHOLOGIE COMPARÉE. n belungen de l'hastcipe austrasienne, et font du meurtre f de Sigebert par Frédégonde la base du meurtre de Sig- / frid^ ooJK^urd, par Brunhild. Mais il est plus facile de répondre à ces évhéméristes germains qu'aux anciens évhéméristes grecs ; nous trouvons, en effet, que Jor- nandès, dont l'histoire fut écrite au moins vingt ani avant la mort de TÂustrasien Sigebert, connaissait déjà la fille du mythique Sigurd, Swanhild, née, suivant VEdda^ apvès le meurtre de son père, et tuée ensuite par Jormunrekr, personnage que le poème a rendu histo- rique sqns le nom de Hermanicus, roi goth duquatrièihe sièole. Appliquons maintenant aux mythes grecs la loi de fomation graduelle que nous avons reconnue par l'étude àw mythes germaniques. Il y a évidemment des faits historiques engagés dans le mythe d'Héraclès; seule* ment nous ne pouvons pas les déterminer aussi claire^ ment cfue dans le mythe des Niebelungen^ parce que noui^ n'avons pas de documents historiques contempo- rains. Héraclès étant représenté conmie appartenant à la famille royale d'Argos, il peut y avoir eu un Héraclès; i^ se peut aussi que cet Héraclès ait été le fils d'un roi nommé Amphitryon,et que ses descendants,après un exil temporaire, aient reconquis la partie de la Grèce autre» fois soumise à Héraclès. Mais les traditions relatives à sa naissance miraculeuse, à la plupart de ses aventures hé- roïques et à sa mort, étaient aussi peu basées sur des faits historiques que les légendes de Sigfrid. Dans Hé- raclès tuant la Chimère et d'autres monstres, nous voyons se réfléchir l'image de l'Apollon Delphien tuant le ser- pool» ou de Zeus, le dieu du oiel brillant, avec qui Her^ gg MYTHOLOGIE COMPARÉE. cule partage les noms d'Idœos, d'Olympios et de Pange- netor. De même que le mythe de Sigurd et de Gmmar projette ses derniers rayons sur les rois de Bourgogne, sur Attila et sur Théodoric ; ainsi le mythe de THéraolès solaire eut sa réalité dans quelque prince semi-histori» que d'Argos ou de Mycènes. Héraclès peut avoir été le nom du dieu nationsd des Héraclides, et ceci explique- rait la haine que lui porte Héré, dont le culte florissait à Argos avant T émigration dorienne. Ce qui était dit tut- trefois d'un dieu fut transporté à Héraclès, le chef des Héraclides, adorateurs ou fils d'Héraclès, et, eai même temps, quelques faits locaux et historiques, liés avec les HéracUdes et leurs chefs, peuvent avoir été mêlés an mythe du héros divin. L'idée d'Héraclès serf d'Eorysiliée est d'origine solaire. C'est l'idée du soleil enchahié à son travail et accomplissant sa tâche pour les hommes, ses inférieurs en forC'O et en courage . Ainsi Sigfnd travaille pour Gunther ; Apollon lui-mèpie est pour une année Tes'^lave de Laomédon. C'étaient là des expressions né- cessitées par l'absence de verbes plus abstraits, et fami* Hères même aux poètes modernes. r La formation plus récente de la poésie épique et de la poésie tragique peut être empreinte d'un caractère spé- ; cialement national ; elle peut être grecque, indienne ou ' germanique ; elle peut prendre les différentes couleurs et les différentes chaleurs des cieux et des climats ; elle peut même absorber beaucoup d'éléments fortuits et historiques. Mais, si nous l'analysons, nous verrons que le sang qui coule dans toute la poésie antique est le même sang ; c'est l'ancien langage mythique. L'atmo- sphère dans laquelle se développa la poésie primitive des MYTHOLOGIE COMPARÉE. 89 Ariens était mythologique, et ceux qui la respiraient ne pouvaient pas résister aux influences qui l'imprégnaient. L'histoire des amours de Pourouravas et d'Urvasl,par exemple^ a souvent été contée par les poètes hindous. Nous la trouvons da^s leurs poèmes épiques, dans leurs Pour&nas et dans la Brihat-Kathà, la grande histoire, collection des légendes populaires de l'Inde. Elle a souf- fert beaucoup de changements, et, en particuUer entre les mains du poète dramatique Kalidàsa, elle est deve- nue le prétexte d'une foule de combinaisons ingénieuses et de pqres fantaisies. Cependant, malgré toutes ces traBsformations, nous reconnaissons encore le fond loin- tain sur lequel repiDsent ces compositions modernes, et nous pouvons admirer l'habileté avec laquelle le poète a donné une vie nouvelle et des sentiments humains aux noms flétris d'un langage depuis longtemps oublié. M. Garlyle a pénétré profondément au cœur même de la mythologie lorsqu'il dit : «Ainsi, quoique la tradition puisse n'avoir qu'une racine, elle croit comme un bana- nier, et devient un labyrinthe d'arbres qui s'étend au- dessus de tout. » Les racines de toutes les histoires de Pourouravas et d'Urvasl étaient ces courtes expressions proverbiales que les anciens dialectes aiment tant : quand nous disons : Les che- ' vaux d'Indra, d*Âgni, de Brihaspati, aussi rapides que le vent et aussi brillants que des soleils, ces chevaux, qui lèchent le pis de la vache noire, la nuit, sont appe- lés artuha ; la fumée qui s'élève du soleil brûlant au point du jour, les membres du soleil avec lesquels il gravit le ciel, la foudre que lance Indra, le feu qui est vu le jour et la nuit, tout cela est aussi appelé carusha. Mais ce même mot dUArusha parait dans les Yédas, ainsi que dans la mythologie grecque, comme le nom d'un enfant. Arusha est représenté dans les Yédas connue le jeune soleil, le soleil qui chasse la sombre nuit, et envoie ses premiers rayons pour éveiller le monde. Quoi- * que dans quelques-uns de ses noms il y ait une allusion , à son caractère animal, il prend bientôt une forme pure- ' mept humaine. Il est appelé Nrikakshâs (III^ xv, 3), « ayant les yeux d'un homme, >et même ses ailes,comme Grimm (1) l'apprendra volontiers, ont, dans les Védas, commencé de pousser, puisqu'il y est une fois appelé Arushâh suparnâs^ « le brillant soleil avec de belles ailes. » De même qu'Eros est le fils deZeus, Ârusha est appelé l'enfant de Dyaus. Cet enfant est le premier des dieux, car il vient « au point du jour, au conunencement des (4) Voyez Tessai de Jacob Orimm sur le IHeu de VAmmr. MYTHOLOGIE COMPARÉE. 97 aurores. » Dans un passage, on lui assigne deux filles, différentes d'aspect, l'une ornée d'étoiles, l'autre bril- lante de laluidière du Soleil. Ces deux filles sont le Jour et la Nuit, appelées ailleurs les filles du Soleil. Aru^a ne se présente pas comme le dieu de l'Amour, dans le sens grec, et l'amour, comme simple sentiment, n'a été déifié sous aucun nom dans les Védas. Lo nom de Kâma, qui est le dieu de l'Amour dans le sanscrit plus récent, ne se trouve jamais dans les Védas nvec des attributs personnels ou divins, sauf dans un passage du dixième livre, et encore l'amour y est plutôt représenté comme un pouvoir de la création que comme un être personnel. Mais il y a un autre passage des Védas où le nom de Kâma, l'Amour, est clairement appliqué au soleil levant. L'hymne entier (ll,xxxviu,6) est adressé à Savitar, le So- leil. Il y est dit, «qu'il s'élève comme une flamme puis- sante, qu'il étend ses vastes bras, qu'il est comme le vent. Quand il arrête ses chevaux, toute activité ceses, et la nuit suit ses pas. Mais avant qu'elle ait fait à moitié son tissage, le soleil se lève de nouveau. Alors Agni va auprès de tous les hommes et de toutes les maisons ; sa lumière est puissante, et sa mère, l'Aurore, lui donne la meilleure part, la première adoration des hommes. » Puis le poète continue : « Il revient à grands pas, désireux d'obtenir la victoire ; l'amour de tous les hommes. L'étemel approche, laissant l'ouvrage (de la Nuit) à moitié terminé ; il suit le commandement du di- vin Savitar. » Cette expression : «l'amour de tous les hommes » peut signifier celui qui est aimé par tous les hommes, ou celui qui exauce les souhaits de tous les hommes ; cependant ce ne peut être par accident que le nom de Kâma, l'Amour, soit ainsi appliqué au soleil 7 9S MYTHOLOGIE COMPAREE. levant. Le caractère primitivement solaire du dieu de l'Amour, le bien-aimé de l'Aurore, n'a pas été oublié même dans les traditions plus récentes des Pourftnas. Nous trouvons^ en effet, qu'un des noms donnés au fils de Kâma, à Aniruddha, Tirrésistible {otyucLxoç fjuzx«v) est Ushâpati, le seigneur de l'Aurore. Les idées et les allusions qui se sont groupées autour des noms d'Arvat et d'Arusha dans les Védas, rendent ainsi parfaitement intelligibles les divers mythes relatifs à Éros, mythes qui semblent d'abord si contradictoires. Dans Hésiode, il est le plus vieux des dieux, né quand il n'y avait encore que le Chaos et la Terre. Dans les Védas, «Arushaestné au commencement de tous les jours. » Il est ailleurs le plus jeune des dieux, le fils de Zeus, l'ami dej Charités, et aussi le fils de la principale Charis, Aphrodite, en qui nous ne pouvons guère man- quer de découvrir une Eros féminine. Chacun de ces mythes trouve son explication dans les Védas. Il est re- présenté là comme « l'enfant, le fils de Dyaus; il attelle les Harits, et est, sinon le fils, du moins le bien^mé de l'Aurore. » Dans la mythologie grecque, Eros a aussi plusieurs pères et plusieurs mères, et les parents que lui donne Sapho , le Ciel et la Terre, sont les mêmes que ses parents védiques, Dyaus et Ida. Mais, quoique nous puissions faire remonter les germes et les racines des idées et des mots grecs jusqu'au riche sol de l'Inde, la fleur épanouie du langage arien, de la poésie et de la mythologie ariennes, appartient cependant à la Grèce, où Platon nous a appris ce qu'est Eros, et où Sophocle Fa chanté. Hegel appelle la découverte de l'origine conunune du grec et du sanscrit la découverte d'un nouveau monde; MYTHOLOGIE COMPARÉE. 99 la même chose peut se dire aussi de Torigine commune de la mythologie grecque et de la mythologie sanscrite. La découverte est faite, et la science de la mythologie comparée s'élèvera bientôt à la même importance que la philologie comparée. Nous n'avons expliqué ici que quelques mythes, mais ils appartiennent tous à un même cycle, et beaucoup d'autres noms auraient pu venir s'y joindre. Nous renvoyons les lecteurs qui preiment inté- rêt à cette géologie du langage bm Journal de Philologie comparée y j^uhlié par le savant docteur Kuhn, de Berlin, qui a très-justement admis dans cet écrit périodique la mythologie comparée comme une partie intégrante de la philologie comparée, et qui a lui-même découvert quel- ques parallélismes frappants entre les traditions des Védas et les noms my thologiquesdes autresnations ariennes. Les Hippocentaures, les Chimères, les Gorgones, Pégase etles autres créatures monstrueuses qui effrayaient Socrate, ont été ainsi rendus àleur sens véritable. Je ne partage pas les vues du docteur Kuhn sur tous les points, etparticuhère- ment en ce qui touche le caractère élémentaire des dieux; de même que Lauer, l'auteur regretté du Système de la Mytholoffie grecque jûles rattache trop exclusivement aux^ phénomènes passagers des nuages, des orages et du ton- 1 nerre ; je crois que dans leur conception primitive ils fu- rent presque toujours solaires.Il y a cependant infiniment j à apprendre chez ces deux savants, même quand nous ne pouvons accepter leurs conclusions. Sans doute il reste beaucoup à faire, et, même avec l'aide des Védas, toute la mythologie grecque ne sera jamais complètement dé- chiffrée et traduite. Mais ceci n'est point une objection.il y a beaucoup de mots gi'ecs dont nous ne pouvons trou- ver aucune étymologie satisfaisante, même avec le se- S' . a /->. .-- -"^ 400 MYTHOLOGIE COMPARÉE. cours du sanscrit. Cela nous autorise-t-îl à conclure que la langue grecque n'a aucune organisation étymologi- que ? Si nous trouvons un principe rationnel dans la for- mation d'une petite partie des mots grecs, nous avons le droit d'en inférer que le même principe qui se mani- feste dans une partie régla la formation de Tensemble ; et quoique nous ne puissions pas expliquer l'origine étymologique de tous les mots, nous ne dirons jamais que le langage n'a pas d'origine étymologique, ou que rétymologie < traite d'un passé qui n'eut jamais de présent. » Ce qui s'applique à l'étymologie s'appli- que avec la même vérité à la mythologie. Il a été prouvé par la philologie comparée qu'il n'y a rien d'irrégulier dans le langage, il a été reconnu que ce que Ton pre- nait autrefois pour une irrégularité dans la déclinaison et dans la conjugaison tenait à la formation la plus régu- lière et la plus ancienne de la grammaire. Le même pro- grès s'accomplira, nous l'espérons, dans la science de la mythologie. La mythologie n'est qu'un dialecte, une an- tique forme du langage. Quoique roulant surtout dans le cercle de la nature, la mythologie était applicable à toute chose. Rien n'est exclu de l'expression mytholo- gique ; ni la morale, ni la philosophie, ni l'histoire, ni la reUgion n'ont échappé au charme de cette antique sibylle. Mais la mythologie n'est ni la philosophie, ni l'histoire, ni la religion,ni l'éthique. C'est jpour employer une expression scolastique, un quale et non un quid^ une forme et non quelque chose de substantiel. Cette forme, comme la poésie, la sculpture et la peinture, était applicable à presque tout ce que le monde ancien pou- vait admirer ou adorer. ;• y